Une usine en friche à Romainville, un hôtel particulier dans le Marais ou un after dans une église, la semaine de la FIAC ne commence et ne finit pas forcément sur un stand de foire.
“Les gens vont bien à New York ou à Shanghai pour voir de l’art. Si ça les intéresse, ils viendront aussi à Romainville.” La petite phrase prononcée par le galeriste Jocelyn Wolff a de quoi surprendre les oreilles qui n’auraient pas été attentives à son contexte d’énonciation. Romainville ? Nouvelle destination Easyjet ? En l’occurrence, il serait plutôt question de calèches et d’équidés que de boîtes à sardines orange aéroportées. C’est en effet dans les anciennes écuries de la Poste parisienne, à Romainville (Seine-Saint-Denis) donc, que l’on s’affaire en vue de l’inauguration prochaine du nouveau quartier artistique nommé Komunuma – apparemment, cela veut dire “commune” en espéranto.
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Le 20 octobre, quatre galeries – Air de Paris, In Situ – fabienne leclerc, Sator et Jocelyn Wolff – investiront leurs nouveaux locaux. Avec, à disposition pour chacun, des espaces de plusieurs étages, accès au rooftop compris. De quoi marquer pour certains un agrandissement (les galeries Jocelyn Wolff et Sator gardent leurs espaces existants, respectivement à Belleville et dans le Marais), et pour d’autres un nouveau départ (Air de Paris quitte le XIIIe arrondissement après vingt-trois années rue Louise Weiss, In Situ – fabienne leclerc délaisse le XVIIIe et le boulevard de la Chapelle).
Lorsqu’elles s’installeront, l’ensemble du site sera, lui, encore en chantier. Dans les grands bâtiments en briques attenant viendront s’implanter dès décembre des espaces d’exposition et des résidences d’artistes (de la Fondation Fiminco), un autre espace d’exposition (de l’association Jeune Création), mais aussi une école (un second campus pour la Parsons School). En outre, mais il faut l’imaginer, un bâtiment tout neuf construit pour les besoins du Frac Île-de-France, dont la première pierre n’a pas encore été posée, viendra dès l’automne 2020 compléter ses espaces existants à Belleville (Le Plateau) et à Rentilly (le château du même nom).
“La ville est trop grande pour n’avoir que trois pôles de galeries, Saint-Germain-des-Prés, le Marais et Belleville”, affirme le même Jocelyn Wolff, qui, en plus de sa galerie à Belleville, co-dirige aussi à Berlin la galerie KOW. “Avec Romainville, nous n’avons aucune vocation de nous substituer aux logiques existantes, mais de venir en complément, d’élargir le spectre. Les parcours artistiques ont évolué moins vite que la sociologie de l’agglomération. Au sein du Grand Paris et d’une gigantesque aire urbaine de 12 millions d’habitants, nous sommes placés au centre.”
La coexistence plutôt que la concurrence
Casque de chantier sur le crâne, coupe de champagne à la main et galeristes en survêtement de travaux. Ainsi était donc inauguré le début du marathon de la semaine de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac). Paris est pluricéphale, tel serait donc le constat, et l’ambition du moment, pour tenter de faire rayonner la ville et d’asseoir une légitimité artistique qui n’appartienne pas uniquement aux grandes enseignes. Et ce, alors même que l’autre nouveauté provient de l’implantation à Paris, mais dans le classique Marais cette fois, de la galerie David Zwirner, déjà présente dans les hypercentres hors-sol du marché et de la visibilité : à New York, Londres et Hong Kong.
Malgré le choix iconographique de la 46e édition de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) et ses requins prédateurs, l’offre pléthorique de foires se tenant simultanément renforce le pari de la diversité plutôt que du monopole (Jennifer Flay, directrice de la FIAC, nous le confiait déjà l’an passé). « Paris Internationale », initiative de cinq galeries – quatre parisiennes (Antoine Levi, Sultana, Crevecoeur, High Art) et une suisse (Gregor Staiger) – souffle cette année ses cinq bougies.
D’abord nomade, elle prend cette année ses aises pour la deuxième année de suite entre les murs d’un ancien hôtel particulier du IXe arrondissement. Soit un écrin mi-baroque, mi-déglingue, où l’on traque l’art entre les salles de bains en marbre, les couloirs tortueux et les alcôves boisées, récemment mobilisé pour le tournage d’un film d’horreur qui aura nécessité de repeindre les murs en rouge sang, comme nous le glisse l’un des galeristes associés.
En plus d’Asia Now et d’Outsider Art Fair, s’y superpose depuis l’an passé Bienvenue, à la Cité des Arts, et, pour la première fois, Galeristes, qui cette année décale ses dates de fin novembre à l’épicentre d’octobre. Cette coexistence entérine un élargissement de la scène, une internationalisation également, où chacun, chaque famille, et réseau d’affinités, étend en même temps ses tentacules vers l’international et la transdisciplinarité. La scène, ce n’est plus seulement ce qui est là, et y tient salon à l’année, fermement campé sur son lieu et ses positions, mais ce qui pourrait s’y réunir, le temps d’un instant, d’un regroupement, d’un projet fédérateur. Ces réseaux d’affection et d’amitié affirmeraient alors chacun des identités transversales suffisamment fédératrices pour tracer des lignées et délimiter des familles partageant un même espace-temps – pas forcément celui du temps commercial de la foire, mais profitant de l’opportunité pour s’afficher en plein jour.
La nouveauté, cette année, provient de Salon de Normandy, initiative du project-space The Community, qui trois années durant fut installé dans une ancienne boutique de coiffeur de Chateau d’Eau laissée en l’état. Entre ses murs roses décrépis s’agrégeait une scène internationale mêlant expositions, DJ sets et lancements de magazines et de labels de mode. En attendant que leur nouvel espace ouvre ses portes à l’automne prochain, le salon réunit, fidèle à leur esprit, des librairies (After 8 Books), des magazines (Novembre), des projets curatoriaux (Umwelt-PR) et des labels de musique (Permanent Cuts, PAN)
La valeur ajoutée de l’événement
Avec le primat de la transdisciplinarité, l’idée de la lignée s’impose comme la donne principale. Depuis quelques années déjà, il s’agit pour les événements commerciaux que sont les foires de faire valoir, au-delà de la qualité intrinsèque des galeries présentes, une identité qui transcende les différents acteurs rassemblés en leur sein. La foire, telle est l’idée directrice, fédère par son effet de marque. Mais on s’y rend tout autant pour l’offre de plus en plus pléthorique des programmes off, s’alignant alors sur le modèle des espaces non-profit où l’on reste pour la communauté, volant alors de plus en plus la vedette aux galeries en tant que telles.
Pour la FIAC, ce sera un parcours de sculptures et d’installations (FIAC Projects et FIAC Hors les Murs), un festival de performances (Parades for FIAC), des talks et un cinéma. Pour Paris Internationale, des visites guidées et une programmation quotidienne de performances confiée à The Performance Agency. C’est un fait : pour exister, il faut adopter la logique de l’événement, et ajouter aux œuvres et aux installations la valeur ajoutée du live. Le modèle témoigne de l’intégration de l’économie de la présence et de la valeur ajoutée de l’événement, qui désormais cimente l’identité d’une foire (et de toute exposition ou manifestation artistique) en proposant des expériences jouant sur la rareté du temps et de l’attention.
Traditionnellement, le temps de la foire est organisé de manière rituelle. Depuis 2010, le jeudi, c’est galeries avec la Nocturne des galeries organisée par la FIAC. S’y ajoute depuis l’an passé le parcours Avant-Première, davantage centré sur les espaces tournés vers la création émergente. Cette année s’y agrègent également les rendez-vous musicaux qui osent jouer la carte de la musique club – déconstruite et expérimentale certes, mais plutôt béton que lambris dans l’esprit. Le Salon de Normandy donne rendez-vous dès la fin de la semaine (avec notamment les Berlinois du label PAN le samedi), tandis que la toute première édition de Disappearing Music, au croisement de la poésie, de la performance et de la musique, serpentera trois jours durant la FIAC à Internationale, avec un point d’orgue au Cloître Saint-Merri le dimanche soir (on a personnellement hâte à Lala & ce et Low Jack).
Définir la scène par ses lignées
Parce que les yeux réels et virtuels mondialisés se tournent une semaine durant vers Paris, le moment est propice à remettre sur le tapis, chaque année à la même période, la question du dynamisme de la scène locale, régionale, nationale – ou quelle que soit la manière dont on tente d’esquiver, par la nomination, l’approche forcément réifiante du contexte étudié à l’échelle d’un territoire. Cette année plus que tout autre, la question se pose puisqu’elle est prise à bras-le-corps par l’habituelle exposition d’octobre du Palais de Tokyo, la seule à investir annuellement la totalité des espaces.
Futur, Ancien, Fugitif. Une scène française, marche dans les pas d’une autre, elle aussi à la recherche, sinon d’une délimitation, du moins d’une manière de problématiser, dans l’espace et depuis Paris, cette question de scène. Il y a dix ans ou presque, en 2010, Dynasty investissait les espaces du Musée d’Art-Moderne et du Palais de Tokyo pour y présenter quarante artistes, et le double d’œuvres. L’ambition était alors de “prendre le pouls de la sensibilité artistique émergente en France, d’en marquer les points de rencontres et les divergences et de participer à son rayonnement sur la scène artistique internationale”.
A l’horizontalité succède désormais un travail davantage en profondeur, dépassant le facteur générationnel pour explorer l’effet de filiation transgénérationnelle, tout en se concentrant sur des groupes d’artistes unis par une certaine résistance à l’idée même de rayonnement. “Il s’agit d’une exposition un peu trouble, portée par l’intérêt pour des artistes au travail ambigu, dont une part nous échappera toujours”, déclare ainsi Franck Balland, co-commissaire de l’exposition aux côtés de Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc et Claire Moulène.
Se regrouper, pousser les murs, en investir certains temporairement, pluraliser les centres. Telles seraient bien les principales logiques et lignes de force qui structurent aujourd’hui le paysage artistique essaimant autour du territoire hexagonal, les mêmes qui ont toujours prévalu à l’échelle informelle mais qui, désormais, s’étendent aux nœuds d’hypervisibilité portés par les foires, les galeries, les grandes institutions et les parcours qui les mettent en lumière.
• Komunuma inaugure ses espaces de galeries le 20 octobre, à Romainville (Seine-Saint-Denis).
• A la galerie David Zwirner, l’exposition Frenchette de Raymond Pettibon sera visible du 16 octobre au 23 novembre.
• La FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) se tient cette année du 17 au 20 octobre au Grand Palais ; Paris Internationale du 16 au 20 dans le VIIIe arrondissement ; Asia Now aux mêmes dates dans le VIIIe également ; Outsider Art Fair du 17 au 20 dans le IIe ; Bienvenue du 12 au 20 à la Cité des Arts ; Salon de Normandy du 17 au 20 au Normandy Hôtel. Pour l’after, les infos sont sur le site du Salon de Normandy et sur la page événement de Disappearing Music.
• Les vernissages de galeries disposent de leur carte ici pour la nocturne le 17 octobre, et ici pour Paris Avant-Première, du 11 au 19 octobre.
• Et enfin, Futur, Ancien Fugitif investit le Palais de Tokyo du 16 octobre au 5 janvier.
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