Neïl Beloufa, fidèle à lui-même choisit de tout montrer de la nouvelle scène contemporaine et envahit la Fondation comme il avait investi le palais de Tokyo au printemps dernier.
Tel le Bartleby d’Herman Melville, Neïl Beloufa avait “préféré ne pas” assumer le rôle d’artiste au Palais de Tokyo. Pour son exposition solo au printemps dernier, il en avait tout de même saturé les 1 600 mètres carrés mis à sa disposition. Avec L’Ennemi de mon ennemi, vrai-faux musée bourré de propagande, de faits divers et de fake news, l’artiste déclarait prendre le parti de “tout montrer” et ce sans aucune hiérarchisation de valeurs.
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A l’époque, nous attendions déjà son coup suivant, seule manière d’espérer voir plus clair dans son nouveau jeu bien flou. Nous y voilà : Neïl Beloufa assure le commissariat du 20e Prix de la Fondation d’entreprise Ricard. Chaque rentrée depuis vingt ans, un curateur réfléchit à une sélection d’artistes lui semblant représentative de la jeune scène française, qu’il expose à la Fondation Ricard selon une proposition plus ou moins thématisée.
Vient ensuite l’étape podium : un jury composé de collectionneurs, de membres d’associations de musées et des commissaires des précédentes éditions vote pour un lauréat dont le nom est divulgué pendant la Fiac.
Le troisième artiste à assumer le commissariat du prix
Inaugurée mi-septembre, l’exposition s’intitule Le Vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard. A priori, le Neïl Beloufa curateur ne s’annonce pas forcément plus explicite que le Neïl Beloufa artiste. Troisième artiste à assumer le commissariat du prix après Isabelle Cornaro et Mathieu Mercier, ce n’est pas la première fois qu’il se frotte à l’exercice d’en exposer d’autres.
En 2015 et 2016, il transformait deux ans durant les ateliers qu’il occupait à Villejuif en lieu d’exposition. Occidental Temporary, nom donné à cette structure, venait alors accompagner l’un des principaux facteurs de renouvellement de la scène parisienne : l’essor de lieux d’exposition indépendants, souvent montés à l’initiative d’artistes.
Une expérience dont les échos viennent cette année nourrir le 20e Prix Ricard, dont le fil conducteur est le suivant : offrir une scène à des pratiques artistiques “qui n’entrent ni dans le calibrage à tout prix, ni dans des formats d’opposition” et qui expriment un positionnement “nonchalant plus que vindicatif”. Le personnage conceptuel de ce prix, ce serait donc le Bartleby relu par Gilles Deleuze dans sa postface à la nouvelle de Melville, figure d’une résistance passive sans révolte ni engagement.
Une exposition avant l’exposition
Que faire de ces déclarations qui soufflent le chaud et le froid mais surtout le tiède ? Regarder du côté des artistes, pour commencer, ces individualités singulières précisément choisies par Neïl Beloufa parce qu’elles débordent le cadre institutionnel. En voulant les énumérer, ça tangue déjà sous nos pieds.
Certes, il y a Meriem Bennani, Ludovic Boulard Le Fur, Anne Le Troter, Lucile Littot, Guillaume Maraud, Liv Schulman et Victor Yudaev. Mais que faire de Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu, Victor Vaysse, exposant sous l’identité Le Marquis, qui ne sont pas un collectif d’artistes mais se contentent de travailler sous le même toit ? Ou encore de Code South Way, espace marseillais piloté par le duo de commissaires Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson, ayant à leur tour invité les artistes Giovanni Copelli, Andrew Humke, Gérard Traquandi, Bella Hunt & DDC ?
Ces artistes qui “sapent les chaînes de réception”, comme le formulera à son tour Marilou Thiébault, l’assistante de Neïl Beloufa sur ce projet, se révèlent néanmoins bien territoriaux. Le Marquis déplace le stand d’accueil afin de produire une exposition avant l’exposition, Code South Way intervient dans les toilettes, tandis que la proposition de Guillaume Maraud se situerait carrément ailleurs.
Son œuvre 23102015 (déclinable en site, mail et Instagram) est en effet un “outil de philanthropie oppositionnelle”. Pour faire court : un appel aux dons pour un futur radieux crowdfundé. Certes, certaines pièces, les installations vidéo de Meriem Bennani par exemple, ou la pièce sonore d’Anne Le Troter, exigent un espace séparé.
D’autres jouent plus intelligemment de la subversion spatiale, préférant ouvrir sur un ailleurs plutôt que de s’enfermer dans leur espace privatif. C’est le cas de l’Argentine Liv Schulman, coup de cœur de ce 20e Prix Ricard. Les sept épisodes de sa minisérie Control, hilarante dérive freudo-marxiste ascendant Groucho à travers les rouages de la vie moderne, sont tous accessibles en streaming depuis son site et se visionnent aussi (et plus confortablement) depuis chez soi. On laissera d’ailleurs à l’un de ses personnages le mot de la fin, résumant l’esprit de cette exposition : “Légèrement participative quoiqu’un peu erronée.”
Le 20e Prix de la Fondation d’entreprise Ricard jusqu’au 27 octobre à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe
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