La Villa Arson à Nice retrace pour la première fois en France la carrière d’un artiste qui a longtemps échappé aux radars : Gianfranco Baruchello. Retour sur l’Agricola Cornelia, une exploitation agricole conçue comme un projet artistique au long court.
Tout quitter pour élever un troupeau de chèvres et des vaches. Lâcher son petit confort pour s’installer dans la cambrousse à 30 km de la capitale italienne. Y rester pendant 8 ans pour devenir agriculteur. Voici l’entreprise dans laquelle se lance Gianfranco Baruchello lorsqu’en 1973 il achète un petit hectare de terre, une ferme et ses dépendances. Un geste de « retour à la nature » qui résonne d’autant plus aujourd’hui mais qui s’inscrit avant tout dans l’après-68 en Italie, dans une époque marquée par des mouvements d’extrême gauche, la répression policière et un abandon progressif des luttes. Comme de nombreux acteurs engagés, l’artiste se retire à la campagne avec une idée en tête : mettre en pratique ses idées utopiques.
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Agriculture, mode d’emploi
Quand il s’apprête à fonder Agricola Cornelia S.p.A., Barucello approche de la cinquantaine et est déjà reconnu dans le milieu pour ses toiles cartographiques et délicates représentant des petits éléments en réseaux, des “micrologies”, plans et autres schémas. Mais l’homme ne veut pas s’endormir : il veut réfléchir à son rôle en tant qu’artiste, partir à l’aventure et désormais s’identifier à la figure de l’agriculteur. Pourquoi ? D’une part, probablement dans l’idée de sortir du monde marchand de l’art et d’autre part, afin d’imaginer un nouveau langage qui ne soit pas celui de la revendication politique, mais un langage poétique proche de ce qui caractérise la nature selon lui : la culture, l’alimentation, la vie animale et végétale.
Dans une interview retranscrite dans le catalogue de l’exposition Cookbook de Nicolas Bourriaud, il s’explique : « La fin des années 60 impliquait de faire un choix entre employer le langage pour ‘représenter’ la politique ou faire de la politique une composante du langage et de l’action artistique« . Baruchello se sera de toute évidence dirigé vers la seconde hypothèse.
Lieu de résistance à l’exigence de rentabilité économique
L’artiste fonde alors une exploitation agricole, prenant la forme d’une entreprise légalement constituée. Se fondant dans la vie et le quotidien, Agricola Cornelia est envisagée comme un projet d’art à part entière, mais aussi comme une ZAD : alors que les 10 hectares autour d’Agricole Cornelia sont laissés en jachère, Baruchello ne se prive pas de les cultiver sans autorisation.
Jusqu’en 1981, Agricolia Cornelia est donc à la fois un affront à la loi, un lieu de résistance à l’exigence de rentabilité économique et un terrain pour imaginer de nouvelles façons de cultiver : écologiques et respectueuses. Pendant 8 ans, Barucello s’improvise agriculteur, expérimentant progressivement différents types de cultures : blé, orge, betterave, légumes… Avec sa femme, il finira par s’occuper d’une quarantaine de vaches, de deux troupeaux de moutons, d’abeilles produisant du miel et de vers à sucre.
Autant dire que l’homme n’était pas un amateur. Certes, l’agriculture lui permettait d’interroger les notions de valeur et d’utilité, mais elle n’était pas un jeu ou une lubie d’artiste : elle était un mode de vie qu’il a épousé sans concession, un art de vivre ne faisant qu’un avec son travail de plasticien. Car qu’il s’agisse de ses dessins, sculptures, de son projet conversationnel sur le concept de douceur ou de son travail dans les champs, les activités de l’artiste sont toutes placées au même niveau, à l’instar des micro-éléments qu’il représente en rhizome sur ses toiles. « J’ai voulu m’identifier au monde végétal. Le projet du jardin était un projet d’identification de mon cerveau à la surface d’une pelouse sur laquelle arbres et buissons agissent comme des idées et des sentiments« , explique-t-il dans le livre Cookbook.
Comparant dans ses écrits le travail de l’artiste à celui de « magicien du jardin » et la production artistique à la production agricole, Gianfranco Baruchello avait de fait trouvé dans la terre un médium de choix. Il aimait se salir les mains, affronter les caprices de la nature, la pluie, la boue, le temps contraint et rude de l’agriculteur. Agricola Cornelia n’était pas un projet hippie ou bucolique, mais un projet de survie. Face aux aléas de la nature, et contre le pouvoir. Une utopie concrète.
Gianfranco Baruchello – Exposition du 10 mars au 27 mai 2018. La Villa Arson, Nice. Entrée libre.
CONVERSATION AU JARDIN : Gianfranco Baruchello : Agricola Cornelia, une utopie concrète et écologique, par Eric Mangion, directeur du centre d’art contemporain. Samedi 26 mai 2018 à 14h30. Plus d’infos ici.
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