Un passionnant dialogue entre l’acteur-metteur en scène et l’historien, qui transforment ce bibelot populaire en capsule de mémoire mêlant l’intime et le sociétal.
Signe des temps, on appréhende la traversée d’une salle demeurant symboliquement vide avant de rejoindre le plateau où se dresse une petite arène dans laquelle se déroule la création de Boule à neige. Derrière de hautes parois lui donnant des allures de citadelle assiégée, la scénographie conçue par l’acteur et metteur en scène Mohamed El Khatib et l’historien Patrick Boucheron fait référence aux amphithéâtres des cours d’anatomie.
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Placé sous l’objectif d’une mini caméra posée face à un guéridon tournant, leur premier objet d’étude est pudiquement recouvert d’un carré de tissu, tandis qu’une collection de boules à neige se déploie sur un rebord matérialisant l’espace dévolu aux échanges entre les deux intervenants.
Voilà plus d’un an que nos compères ont le désir de porter le débat sur le concept des boules à neige : l’actualité du mouvement des Gilets jaunes mettant les ronds-points sous cloche et celle du Covid enfermant chacun·e dans sa bulle n’ont cessé de confirmer la pertinence de leur choix.
Une discussion ouverte où chacun argumente pour la réhabilitation du gadget kitschissime
La possession d’une boule à neige implique souvent de rendre des comptes à autrui en se justifiant d’un achat compulsif qui ouvre sur le désir régressif d’une aventure hors des territoires du bon goût. Conduit sous la forme d’une discussion ouverte où chacun argumente pour la réhabilitation du gadget kitschissime, le spectacle commence par nous mettre à l’aise…
Tandis que Mohamed El Khatib rappelle qu’à travers des œuvres signées par Jeff Koons et Maurizio Cattelan, l’objet est devenu la figure iconique d’une esthétique populaire revisitée par les papes de l’art contemporain, Patrick Boucheron enchaîne en révélant que celui qu’il considère comme un maître, le philosophe et historien des arts Walter Benjamin (1892-1940), en emportait dans ses valises durant son exil hors des frontières de l’Allemagne nazie.
Eminemment populaire, l’incontournable bibelot des boutiques de souvenirs s’apparente pour eux à une capsule mémorielle témoignant de l’histoire récente de notre humanité.
Présentée au Grand T à Nantes à la veille du confinement, cette première en public fut aussi une dernière
Alternant les images d’un théâtre documentaire qui les amène à pister les plus grand·es collectionneur·euses de boules à neige aux quatre coins de la planète, le duo se livre à une autopsie par les mots de quelques modèles exemplaires allant des premières mises sous verre de la tour Eiffel en 1878 à celles des tours jumelles du World Trade Center ou de la Kaaba de La Mecque. Présentée au Grand T à Nantes à la veille du confinement, cette première en public fut aussi une dernière.
Le bonheur de découvrir le spectacle se teintait d’une nostalgie renvoyant à un avenir immédiat le rangeant parmi les plaisirs proscrits. Dès la sortie du tunnel de silence imposé par la pandémie, prendre date pour ce rendez-vous où l’humour fait si bon ménage avec l’intelligence demeure primordial.
Boule à neige conception, texte et réalisation Mohamed El Khatib et Patrick Boucheron. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Théâtre de la Ville hors les murs du 15 au 29 décembre, La Villette, Paris
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