A Roubaix, la Condition Publique fête sa réouverture avec de multiples propositions, menées de front et censées favoriser le dialogue entre les acteurs artistiques et un territoire profondément impacté par les différentes crises actuelles.
De l’aveu même de Jean-Christophe Levassor, directeur de la Condition Publique, Roubaix est “une terre de contrastes”, un territoire dont l’évolution ne cesse de rappeler son extrême singularité. “On parle quand même d’une ville passée de 8 000 habitants au début du XIXème siècle à plus de 120 000 au siècle suivant. Cela démontre bien que Roubaix s’est entièrement construite grâce à l’industrie du textile. Avant, il n’y avait rien d’autre que des champs ici.” Depuis, le secteur a pris du plomb dans l’aile, Roubaix a vu sa situation s’appauvrir et ses rues être peu à peu délaissées par les habitant·es.
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Dans le quartier du Pile, par exemple, il suffit de contourner la Condition Publique, créée en 1902 dans l’idée de favoriser le conditionnement des matières textiles, pour constater qu’une maison sur trois semble être abandonnée. Pareil pour toutes ces anciennes usines, dont l’une abritait jusqu’à il y a peu la plus grande ferme de cannabis de France. “C’est là toute la singularité de ce quartier, poursuit Jean-Christophe Levassor. “On est dans un lieu où la Condition Publique côtoie une entreprise de textile high-tech, où les locaux d’OVH se trouvent à quelques centaines de mètres d’associations participatives qui s’établissent dans des rues meurtries par la crise. En tant qu’acteurs culturels, on se doit donc de comprendre ce quartier pour entrer en interaction avec ses habitants.”
Sylvain Ristori
Territoire urbain
Pour accompagner sa réouverture le 18 septembre dernier, après plusieurs mois d’arrêt dus à des travaux de rénovation et à la crise du coronavirus, la Condition Publique a donc choisi de travailler aux côtés d’artistes qui dialoguent avec les enjeux du monde. L’idée ? Réécrire un récit commun dans le quartier du Pile et poser un autre regard sur l’histoire, la richesse et l’architecture de la ville.
C’est d’ailleurs par une œuvre de Sylvain Ristori que l’on entame ce “parcours urbain” proposé par la Condition Publique : une œuvre monumentale (60 mètres de long, 20 mètres de haut), où l’artiste français ancre son propos dans le patrimoine industriel de Roubaix, redonne vie à un bâtiment muré, “un matériau endormi” d’après lui, et fait de sa proposition graphique, entièrement boisée, un témoignage rappelant qu’il n’existe définitivement plus aucune barrière entre le street art et l’art contemporain.
Quelques mètres plus loin, ce sont les grands noms du graffiti qui défilent et ornent les murs du quartier : Katre, C215, Nasty, Remi Rough, Jef Aérosol et même Zoer, occupé à recouvrir la façade d’un bâtiment d’une double fresque aux couleurs criardes. “Chacun des artistes invités est encouragé à développer une œuvre capable de dialoguer avec l’histoire du quartier, précise Jean-Christophe Levassor. L’idée, ce n’est pas d’accueillir des artistes simplement pour leur renommée. Ni de décorer bêtement les rues, mais bien de positionner l’art dans l’espace public afin de questionner le territoire, quitte même parfois à susciter la controverse lorsque les œuvres sont un peu plus provocantes.”
Le directeur de la Condition Publique se veut toutefois rassurant quant à la cohabitation entre les artistes et les locaux, et cite même Nasty, véritable habitué des environs et missionné par un garagiste du quartier pour réaliser une œuvre inédite sur les murs de son entreprise.
Une fois dans l’enceinte de ce laboratoire créatif qu’est la Condition Publique, c’est à d’autres œuvres que l’on se confronte, d’autres propositions, d’autres obsessions. Il y a déjà ces dessins de Clément Vuillier, dans le cadre de l’exposition Ibant Obscuri, qui trahissent un rapport contemplatif au monde et se reçoivent pour ce qu’ils sont : des paysages d’une extrême poésie, dépourvus de présence humaine. Il y a également Colorama, ce skatepark indoor designé par l’artiste multidisciplinaire Yinka Ilori, basé à Londres et passionné par le dialogue possible entre l’espace public et le street art, entre le sport et la culture pop. Il y a enfin l’exposition Nouvelles cartographies, menée par le Labo 148 et pensée comme une invitation à échanger autour de thématiques précises : “Comment circuler et se représenter dans l’espace, comment se raconter et se regarder soi et l’autre, comment se projeter et rêver, et comment lutter et combattre.”
Toutes ces problématiques, on le comprend aisément, sont au cœur des réflexions menées par la Condition Publique, bien décidée à profiter de cette réouverture, et des évènements qui s’annoncent ces prochains mois, pour faire corps avec les enjeux urbains, sociaux et environnementaux actuels. Par souci de permettre aux habitant·es des quartiers populaires de prendre place dans le débat public, par volonté de proposer une pluralité d’œuvres, et donc de regards, mais aussi parce qu’on sent chez eux la nécessité de “rêver en actes”.