En baptisant sa pièce La Réunification des deux Corées, Joël Pommerat intriguait son public en 2013 avec cette référence à la situation d’une géopolitique lointaine, digne de la guerre froide, pour en faire la métaphore d’une impossible réconciliation entre les êtres sur le territoire de l’intime.
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Récemment remise sous les projecteurs de l’actualité par les avancées de la diplomatie et l’amorce d’un dialogue entre les deux nations, l’usage de la formule du titre ouvre aujourd’hui vers d’autres enjeux qui ont conduit Jacques Vincey à monter la pièce à Singapour avec les acteurs du TheatreWorks.
Pas moins de cinquante-deux personnages sur le plateau
“Ce contexte différent a nourri le texte de sens nouveaux, précise le metteur en scène. Il m’a incité à prolonger le geste artistique de Joël Pommerat dans la traduction anglaise de Marc Goldberg pour témoigner d’une histoire qui nous réunit, d’un continent à l’autre, dans les zones troubles de l’amour et les vertiges de la séparation.”
Composé de vingt histoires courtes, le spectacle convoque sur le plateau pas moins de cinquante-deux personnages. La séquence d’ouverture se revendique comme un hommage aux Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman.
Mais ce parcours où tant d’hommes et de femmes se cognent vainement à l’étranger qui est en l’autre nous évoque, dans le fond et la forme, La Ronde d’Arthur Schnitzler, à travers l’inoubliable scène où une prostituée ne cesse de baisser le prix de la passe et va jusqu’à se vendre gratuitement à un homme qui avait d’autres choses en tête.
D’une soirée où le fantasme d’avoir des enfants conduit un couple à recourir aux services d’une baby-sitter à un mariage brisé par l’aveu d’un baiser échangé avec chacune des sœurs de l’épousée, c’est l’ensemble du champ des amours illusoires que l’on questionne ici.
Jacques Vincey accorde sa mise en scène avec la tradition anglaise d’un théâtre singapourien qui se joue de l’humour et se fonde sur la spontanéité. Tel un chœur moderne, les neuf actrices et acteurs du TheatreWorks sont présents sur le plateau durant toute la représentation. Se servant sur deux portants situés à cour et à jardin, ils enfilent leurs costumes dans la pénombre avant de monter sur la mini-scène où se déroule l’action.
Passant d’un rôle à l’autre au gré de leurs incarnations, le sol alentour se couvre bientôt de toutes ces peaux abandonnées après usage. Cette mer de vêtements colorés cernant l’autel de la théâtralité prend soudain la valeur d’une précieuse écume, celle de la vie qui passe sans jamais nous guérir de notre insatiable désir d’aimer.
La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, mise en scène Jacques Vincey, avec la troupe du TheatreWorks de Singapour, en anglais surtitré en français. Jusqu’au 24 novembre, Théâtre Olympia, Tours ; du 28 novembre au 1er décembre, MC93, Bobigny
© crispi photography
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