L’artiste estonienne Anu Põder, décédée à 66 ans, méconnue de son vivant, fut propulsée l’été dernier sur la scène de la jeune création. Elle bénéficie aujourd’hui de sa première rétrospective à La Galerie – Centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec.
Au sein de l’actuelle réinsertion dans les circuits de la visibilité d’artistes femmes du XXe siècle, Anu Põder (1947-2013) occupe une place à part. Ce n’est pas tant la teneur de son travail, aussi singulier soit-il, qui l’en distingue, mais son insertion dans les circuits en question : ceux de la visibilité donc, et plus précisément, les structures narratives qui les conditionnent.
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Des œuvres qui résonnent avec des préoccupations thématiques
Contrairement à ses consœurs, Anu Põder ne participe pas vraiment à l’élargissement du canon moderniste. Non, la sculptrice estonienne, elle, réapparaît directement depuis les réseaux des jeunes artistes d’aujourd’hui. Ses œuvres résonnent avec des préoccupations thématiques, exprimant davantage une position dans le monde qu’une filiation formelle.
Lors de la treizième édition de la Baltic Triennial – entre mai et novembre 2018 –, ses langues de savon (Tongues, 1998) entraient en dialogue avec les jeunes artistes attentifs à la fluidité des identités.
Le même été, la galerie berlinoise Kraupa-Tuskany Zeidler, pépinière du post-internet, l’intégrait à son “group show” Chthonic Rift. Là, ses deux pièces (Rolled up Figure, 1992 ; Import and Export Bags, 2001), s’infusaient d’une méditation néo-chamanique autour de la “division virtuelle du monde”.
Des premières œuvres empreintes de l’académisme soviétique
Il y a quelque chose d’irrésistiblement poreux chez Anu Põder. Formée aux Beaux-Arts de Tallinn, sa première exposition solo en France, et hors de son Estonie natale, en témoigne tout en la réinscrivant dans le contexte spécifique de production qui fut le sien.
A La Galerie – centre d’art contemporain à Noisy-le-Sec, la curatrice Barbara Sirieix a rassemblé un ensemble d’œuvres de la seconde moitié de sa vie. Ses premières pièces gardent l’empreinte de l’académisme soviétique subverti par le vocabulaire surréaliste dont les échos filtrent néanmoins à travers la muraille – une muraille de plastique, carapace dure comme celle qu’imposait le régime à l’individu soviétique.
Des œuvres habitées d’une rage sexuelle et transgressive
A partir des années 1990, ses œuvres s’allègent, s’ouvrent et se fragmentent pour accéder au registre qu’on lui connaît : des sculptures réalisées à partir de matériaux vernaculaires. En tissu, savon, miel, cire, charbon, nourriture (des œufs en chocolat), papier aluminium ou sacs plastique, ses sculptures et installations fragiles sont habitées d’une rage sexuelle et transgressive.
Les vêtements évidés Space for My Body (1995) ou Pattern as Sign. Coats (1996), les têtes-grilles percées d’une langue serpentine Lickers (2007) ou Tested Profit. Rubber Dolls (1999), ces surprenantes poupées gonflables calées d’une brique au sommet du mur témoignent déjà du façonnement créateur de soi, cette “soma-esthétique” qu’identifiera le philosophe Richard Shusterman d’après les écrits de Michel Foucault, Judith Butler ou Susan Bordo.
A partir de gestes simples, ses pièces se construisent dans l’intervalle entre les “paradoxes sensuels d’un monde dominé par l’économie post-industrielle”, ainsi que l’identifie la curatrice, et l’activité libératrice d’un façonnement (de la matière, de son propre corps) porté par le sens de l’espace de celle qui, enfant, rêvait de devenir danseuse.
Anu Põder. Ruum minu ihu jarocks Une pièce pour mon corps Space for My Body. Jusqu’au 13 juillet à La Galerie – Centre d’art contemporain, Noisy-le-Sec
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