Vogue Paris a convié le temps d’une exposition, l’artiste Claire Tabouret à imaginer une couverture sur une femme emblématique. Son choix s’est porté sur Assa Traoré qui se transforme ici en icône révolutionnaire et politique. Rencontre avec une femme tout aussi inspirante.
Lorsque vous avez été invitée à revisiter la couverture de Vogue Paris, pourquoi avoir choisi de représenter Assa Traoré ?
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Claire Tabouret — Cela me semblait juste pour Assa Traoré de figurer dans ce contexte : Artistes à la Une,Togeth’Her & Vogue invitait trente-trois artistes à représenter une femme qu’ils considéraient comme iconique. Les fonds réunis lors de la vente aux enchères de ces couvertures fictives étaient ensuite reversés à ONU Femmes. Je me suis demandé qui j’aimerais voir en couverture de Vogue et j’ai tout de suite pensé à Assa Traoré. Une couverture de magazine est un espace de visibilité, c’est une image qui se propage dans l’espace public. Représenter cette femme dans ce contexte, c’est pour moi une manière de prendre position, de dire de quel côté je me tiens dans ce combat.
Aviez-vous suivi l’affaire Adama Traoré ?
Oui, et je suis impressionnée par la force d’Assa. Elle fait face aux mensonges, à la mauvaise foi et au mépris du système judiciaire depuis maintenant trois ans, avec une dignité et un courage qui forcent l’admiration. C’est également une femme d’une énergie et d’une générosité rares, comme en témoignent les nombreuses autres causes auxquelles elle prête sa voix.
Et dans le monde de l’art, quel a été son retentissement ?
Il n’y en a pas eu. Le monde de l’art est en grande majorité totalement étranger aux réalités vécues dans les quartiers populaires.
Ce portrait intervenait dans le cadre d’une commande spécifique. De manière générale, comment appréhendez-vous votre position d’artiste par rapport à l’actualité ?
Il me semblait primordial que ce portrait ne soit pas qu’une jolie image. Le fait de pouvoir l’accompagner d’un court texte était l’une des conditions importantes pour que la démarche soit juste. Il s’agissait ici presque d’utiliser le pouvoir de séduction de la peinture pour amener le regardeur à lire ce texte, et à prendre connaissance de l’affaire Adama Traoré s’il ne la connaissait pas. Que l’engagement se fasse à titre privé ou public, je me pose toujours la question de la justesse et de l’efficacité par rapport à un contexte donné.
“Je voulais réaliser un portrait qui utilise les codes des icônes révolutionnaires et politiques”
Vous travaillez souvent d’après des photographies de sources diverses. Pour le portrait d’Assa Traoré, quelles étaient-elles ?
Je me suis appuyée sur des images de presse d’Assa publiées en ligne. Je voulais réaliser un portrait qui utilise les codes des icônes révolutionnaires et politiques. On y retrouve le bleu et le rouge du drapeau français. La posture d’Assa évoque sa force et sa détermination d’Assa Traoré. Comme souvent dans les portraits que je réalise, on sent une colère sous-jacente, un feu qui brûle et qui ne s’éteindra pas. J’espère avoir réussi à transmettre ces émotions dans son regard.
Les groupes, les jeux de masques, d’allégories ou de stéréotypes sont fréquents dans votre travail, qui en acquiert une qualité spectrale hors du temps. Mis à part une série sur Britney Spears ou les bateaux de migrants, les images prélevées dans le flux contemporain sont plus rares…
Mon travail mêle narration et autobiographie de manière conceptuelle et poétique. En cela, je me sens proche de l’artiste des années 1970 Bas Jan Ader, nourrie par la même sensibilité. L’histoire que je raconte prend de nombreux corps et visages au fur et à mesure que se succèdent les peintures et les expositions. Je cherche sur internet des images sur lesquelles m’appuyer pour construire mes peintures, mais ce qui m’intéresse est de créer un espace mental conçu comme une scène où j’installe mes personnages et ma tragédie. Des références au passé, au présent et au futur interviennent simultanément pour concevoir une durée intérieure et mentale, spirituelle et atemporelle.
A quoi travaillez-vous actuellement ?
Après m’être longtemps concentrée sur l’individualité et le groupe, mes deux dernières expositions – I am crying because you are not crying à la galerie Almine Rech à Paris en septembre 2018 et Born in Mirrors à la galerie Perrotin à Hong Kong en janvier 2019 – exploraient chacune la relation de couple. J’ai voulu faire des expositions comme des chansons d’amour. A partir de là, cela m’a naturellement amenée à vouloir peindre le désir et le sexe. Je pense souvent au regard du spectateur. Ma peinture se construit dans ce face-à-face. Le regardeur et la peinture s’observent et se questionnent tour à tour. Or, les images pornographiques sont elles aussi créées dans cette dynamique, pour le voyeur avec qui elles entretiennent la confrontation. Par le passé, j’ai également beaucoup exploré la question de l’habit, de l’uniforme ou du recouvrement. Aujourd’hui, j’explore le rapport au regard, au langage des corps et à la domination, mais je veux également peindre la peau et les frémissements du désir. J’expérimente avec la peinture sur différents supports et textures de tissu, dans un rapport très organique et charnel à la matière.
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