Réunissant deux œuvres de Martin Crimp, Rémy Barché questionne avec brio les dérives perverses de ce cinéma qui se dit inspiré d’une histoire vraie.
Réponse du berger à la bergère, l’écriture de la pièce Le Traitement est une manière pour Martin Crimp de régler ses comptes avec le milieu du cinéma. Après avoir subi l’humiliation de s’être retrouvé évincé de tout contrôle sur ses scénarios lors de la réalisation de plusieurs courts métrages, le dramaturge anglais documente l’expérience qu’il a vécue ; de la séduction irrésistible du miroir aux alouettes au piège de dévoration qui se referme sur l’écrivain qui s’y laisse prendre. Il n’est plus fragile auteur que celui ou celle qui espère un jour pouvoir témoigner de sa vie sur grand écran.
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Exemple idéal, l’héroïne du Traitement vient juste de s’échapper de l’appartement où la tenait séquestrée son mari depuis des années quand elle répond à l’annonce d’une boîte de production spécialisée dans les films portant le label “d’après une histoire vraie”. Comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, Martin Crimp articule son propos en s’amusant de la genèse d’un classique du film de genre où l’adaptation du récit d’une victime devient la promesse d’un juteux jackpot en terme d’audience.
Rémy Barché s’empare avec une élégance sans pareille de cette plongée dans un monde où c’est par la fiction que l’on se propose de dénoncer le réel. L’action se déroule à New York dans les années 1990, mais c’est à travers les yeux de son héroïne que le metteur en scène nous fait découvrir les vertiges d’une skyline que sa folie chamboule.
Les engrenages du hasard
La toile de fond d’une vidéo retravaillée à la palette graphique nous plonge dans l’espace labyrinthique d’une ville qui se diffracte sans cesse à la manière d’un kaléidoscope. Les plateaux des décors sont mobiles, leur ballet fluide figure à merveille la série d’engrenages de hasard dont dépend le cours d’une destinée.
Interprète d’une incroyable justesse, Victoire Du Bois est cette Anne qui voulait simplement faire entendre sa vérité sur l’étrange dépendance qui la rendait prisonnière. Prise dans la nasse inquiétante des producteurs, rewriters, développeurs et autres financiers, son pire cauchemar sera au final d’en être dépossédée.
L’industrie du cinéma a le nez fin, le film est un succès. Pour nous donner un aperçu de la manière dont une histoire peut être transfigurée, Rémi Barché monte en guise de prologue Le Messager de l’amour, un texte inédit de Martin Crimp consacré au même sujet selon les lois du marché. Jouée par Suzanne Aubert, l’actrice qui relaye la confession de la jeune femme soumise à son tortionnaire complète le réquisitoire en apportant la preuve qu’il s’agit bien du viol d’une conscience auquel nous allons assister.
Le Traitement précédé par Le Messager de l’amour, de Martin Crimp, mise en scène Rémy Barché, jusqu’au 23 février, Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe ; du 27 février au 3 mars, Théâtre Dijon Bourgogne – Centre dramatique national
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