Pour son deuxième film depuis La Bande du Drugstore (2002), François Armanet a choisi de se pencher, avec la complicité du journaliste et coscénariste Bayon, sur soixante ans de rock français à travers dix chanteuses emblématiques. Il en détaille la genèse autant que les interrogations.
“Etre rock ou être soi, c’est la même chose”, affirme Elli Medeiros dans l’une des répliques les plus marquantes en ouverture de Haut les filles. Une punchline qui pourrait d’ailleurs à elle seule résumer le film du journaliste François Armanet. Car embrasser soixante ans de rock français par la voix de dix chanteuses n’était pas une mince affaire en une heure vingt.
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Tourné dans un contexte de libération de la parole des femmes, particulièrement dans l’industrie du disque (cf. le manifeste contre le sexisme dans la musique de Télérama, signé par des artistes en pleine lumière comme par des femmes occupant des métiers de l’ombre), Haut les filles prend le parti d’interroger le féminin pluriel dans un genre viril comme le rock, mettant sur un pied d’égalité les dix artistes interviewées.
Soit dix trajectoires artistiques et intergénérationnelles qui résument l’urgence d’un combat, fût-il plus gagné aujourd’hui qu’hier mais moins que demain. “J’aimerais bien vivre dans une époque où l’on n’a pas besoin de faire un documentaire sur les femmes dans la musique”, confesse Jehnny Beth, la chanteuse de Savages. La parole au réalisateur et coscénariste du long métrage, François Armanet.
Genèse
François Armanet – En 2015, Edouard de Vésinne, un producteur de cinéma et de télévision, m’a proposé un documentaire sur le rock français après avoir vu celui de Morgan Neville sur les choristes noires américaines, Twenty Feet from Stardom (2013), récompensé d’un Oscar. J’ai cogité avec Bruno Bayon, mon vieil ami journaliste depuis nos années communes à Libération au début des années 1980.
En réfléchissant d’abord à un sujet autour de nos quatre mousquetaires hexagonaux – Christophe, Manset, Bashung et Murat –, on a cherché un angle plus original, en se concentrant sur la place des femmes dans la musique en France. Avant de choisir dix chanteuses charismatiques feuilletant les pages de soixante ans d’histoire du rock français.
On a écrit le scénario pendant une année, en faisant attention aux équilibres stylistiques et générationnels. Un film, c’est d’abord une question d’harmonie. Il nous a fallu autant de temps pour trouver le distributeur, et on ne pouvait rêver mieux que Les Films du Losange, une société dirigée par des femmes, Margaret Menegoz et Régine Vial.
Le tournage s’est étalé sur plusieurs mois, à raison d’un jour d’interview filmée par chanteuse et d’un lieu symbolique choisi pour chacune d’entre elles : le Bataclan pour Camélia Jordana, l’Elysée-Montmartre pour Jeanne Added, le studio Ferber pour Charlotte Gainsbourg ou encore le home-studio de Brigitte Fontaine sur l’île Saint-Louis.
Puis le montage s’est accéléré avec la sélection de Haut les filles au dernier Festival de Cannes, où Jeanne Added et Camélia Jordana ont découvert le film pendant la projection au cinéma de la plage.
Coscénaristes masculins
La question s’est évidemment posée de savoir si Bayon et moi associons des femmes à l’écriture du scénario. Nous nous sommes longuement interrogés sur notre légitimité. De la même manière qu’une journaliste rock est légitime pour parler de Jimi Hendrix, nous considérons l’être pour interviewer Brigitte Fontaine ou Jehnny Beth.
Et un film, c’est d’abord une entreprise collective, dont certains rouages essentiels sont en l’occurrence occupés par des femmes. A l’arrivée, ce sont les dix chanteuses qui ont fait Haut les filles. Leurs voix et leurs cœurs imposent le film, en l’élevant à un niveau insoupçonné avant le tournage. Au point de faire apparaître une sororité. Bayon et moi avons pris une leçon. La résonance qui s’est installée entre elles n’était absolument pas prévue au programme.
Leur engagement mental et physique a réellement porté toute l’équipe du film. Le sous-titre de Haut les filles pourrait être “rencontre avec dix femmes puissantes et iconoclastes”. Elles parlent avec émotion et intelligence. Nous avons été les récepteurs de leurs paroles, exprimant leur honnêteté, leur intégrité et parfois même une part de leur intimité.
En tant que journalistes, il nous restait à tout mettre en forme sur la base d’une matière première inépuisable. En revanche, il était totalement exclu de faire apparaître des hommes ou des parrains musicaux (Etienne Daho ou un autre) pour parler d’elles et justifier la donne.
Voix off féminine
Choisir une voix off féminine faisait partie des partis pris de départ. Il se trouve que celle qui prête sa voix dans Haut les filles, Elisabeth Quin, n’est autre que ma femme (sourire). Mais c’est Bayon qui m’a soufflé l’idée. Au début de sa carrière journalistique, Elisabeth avait essuyé une réflexion d’un machisme absolument révoltant de la part d’un producteur télévisuel, qui lui avait dit qu’elle ne ferait jamais de télévision car elle avait un physique de radio. En toute subjectivité, Elisabeth Quin a surtout une voix de radio (sourire).
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Casting musical
Il y a deux femmes auxquelles on avait songé et qui ne figurent pas au générique des dix artistes interviewées : Catherine Ringer et Chris. La première, que l’on connaît très bien, nous a aussitôt fait savoir qu’elle n’apparaîtrait jamais dans un film qu’avec des femmes – une ligne de conduite parfaitement respectable. La seconde était alors en pleine promotion internationale de son dernier album.
D’autres femmes étaient également légitimes – à commencer par Jane Birkin, mais il y avait déjà Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon. Nous sommes partis de Brigitte Fontaine et Françoise Hardy pour les années 1960 en remontant le fil du temps jusqu’à Camélia Jordana, la plus jeune d’entre elles. Parmi la nouvelle génération, on avait aussi pensé à Fishbach et Clara Luciani.
#MeToo
L’affaire Weinstein et le mouvement Me Too sont survenus pendant la construction du film. Depuis octobre 2017, c’est naturellement un sujet qui nous préoccupe au premier chef et que je traite régulièrement dans les pages idées de L’Obs. J’ai d’ailleurs organisé le seul débat qu’ait accepté Catherine Millet face à Ovidie. Haut les filles est une ode à la femme, au féminin, à la féminité et au féminisme.
C’est un film musical, jouissif, émouvant et jamais démonstratif. La musique est la bande-son de l’époque et le réceptacle de l’évolution des mœurs, en l’accompagnant et parfois même en l’anticipant. Les questions s’interfèrent dans Haut les filles, mais il n’y avait pas besoin de les marteler explicitement. Aborder MeToo m’aurait fait réaliser un autre film.
Haut les filles était d’abord un titre de travail dont les dix chanteuses ont fini par nous donner la solution. Brigitte Fontaine préfère le mot “meuf” ou “femelle” tandis que Jeanne Added se reconnaît dans celui de “fille” et non de “femme”. C’est un film rock avant tout.
Combat rock
Le féminisme est un sport de combat, pour paraphraser Bourdieu. Et ce titre d’un album de The Clash, Combat Rock (1982), aurait pu être un autre sous-titre possible pour Haut les filles. J’aime beaucoup cette citation magnifique de Simone de Beauvoir, qui disait : “Le féminisme, c’est une manière de vivre individuellement et de lutter collectivement.”
D’ailleurs, dans les résonances qui nous ont frappés dans le film, c’est l’image d’Imany avec son turban et celle de Beauvoir. Ça fait partie des petits miracles de Haut les filles.
Haut les filles de François Armanet
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