[Série d’été: les collectionneurs] Au Consortium de Dijon, l’artiste néerlandais présente sa collection Automne / hiver, Printemps / été. Soit 50 pièces sportswear chinées sur les 10 dernières années.
[Mick Jones, Willem de Rooij, agnès b. : tout l’été, nous vous présentons une série de papiers exclusifs sur des collectionneurs atypiques qui exposent en ce moment, partout dans le monde]
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Au premier coup d’œil, stupéfait au demeurant, vous ne distinguerez rien : que des bouquets de fleurs et cette armée massive de mannequins en plastique noir et leur attirail bon marché. Puis petit à petit, face à cette déferlante mainstream dont l’unique incongruité semble être le lieu où elle s’est échouée (dans les salles d’un centre d’art), vous parviendrez à déceler certains indices, certains détails, qui laissent deviner que la machine trop bien huilée s’est enrayée. Mais n’allons pas trop vite : revenons à ce premier aperçu qui embrasse d’un coup d’un seul cette légion de spécimens, sans signe distinctif particulier, ni tout à fait masculin, ni tout à fait féminin (hormis ces quelques marqueurs à peine visibles : talons aiguilles, poitrine ou renflement) dont les vêtements unisexes et universels (survêtement, k-way, polaires) ne font que renforcer la neutralisation identitaire.
Rythmant le parcours au milieu de cette armée des ombres : trois bouquets de fleurs massifs, mais un peu morbides, s’épanchent dans des vases kitch.
Puis, vous refaites le parcours à l’envers, depuis la grande vitrine ouverte aux quatre vents sur le patio intérieur du Consortium, jusqu’à la première salle. Et le doute commence à s’installer.
Des bouquets plus bavards qu’ils n’y paraissent
Le premier bouquet, à mieux y regarder, se compose uniquement de fleurs blanches : dix espèces différentes en tout. Le second, touffu et indistinct au premier regard, recèle en fait des merveilles d’exotisme avec ses 98 espèces. Le troisième enfin, qui s’intitule en réalité Bouquet IV, est dédoublé dans une image sœur mais en noir et blanc qui fait passer au gris souris les tonalités pastel de cet arrangement floral.
« Le 3ème bouquet a été crée en 2002 avec Jeroen de Rijke » commente l’artiste Willem de Rooij qui ne manque jamais de rappeler qu’il a longtemps travaillé en duo avant la disparition prématurée de son complice en 2006.
« Il existe en version réelle et photographique, en noir et blanc. Comme la palette des fleurs est pastel, la photo est grise et nuancée plutôt que noire et blanche. Elle représente le mainstream. Non pas les extrêmes mais le milieu. »
Si bien que vous commencez à regarder tout à fait autrement les costumes invariables des mannequins inanimés qui tiennent compagnie à ces bouquets de fleurs plus bavards qu’ils n’y paraissent. Et vous vous apercevez alors que non seulement ces épouvantails sont rangés par familles, mais que chacun d’entre eux est unique, portant sur lui un petit signe distinctif, une couture, une poche, un détail qui change tout.
Organisation en « quatre familles picturales »
Au Consortium de Dijon, invité par Stéphanie Moisdon, Willem de Rooij a pris des risques en exposant ce qui s’avère être sa collection personnelle. Soit des dizaines de vêtements sportwear achetés sur ebay ces dix dernières années. Cette capsule bas de gamme est l’œuvre d’une styliste sino-néerlandaise très réputée aux Pays-Bas pour ses collections baroques. Ces créations, avec « empiècements étriqués » ont déjà peuplé certaines des expositions de Willem de Rooij, à la galerie Chantal Crousel ou à la galerie Buchholz à Cologne où l’artiste joua les commissaires et invita, en plus de la styliste, Keren Cytter et Iza Genzken.
Excentriques et forcément élitistes, les créations de Fong Leng ont agité la petite scène néerlandaise dans les années 70 et 80. Puis il y a eu cette autre excentricité qui a consisté (en marge de cette production ultra pointue et après vingt ans de pratique) à lancer la production d’une gamme plus large, des vêtements « grand public » comme le dit Willem de Rooij qui, fasciné par ces écarts, a mis dix ans à accumuler ces vêtements sans qualité qu’il organise ici, au Consortium, en « quatre familles picturales ».
« Il y a un groupe monochrome ; un groupe qui a une convergence iconographique de l’ordre de l’abstraction géométrique ; des vestes polaires avec motifs tribaux et un dernier ensemble avec des motifs floraux ou cubistes », explique-t-il.
Si bien que ce que l’on prenait pour un tout, un import-export sans filtre d’une boutique en gros du quartier du Sentier, s’avère en réalité beaucoup plus subtil.
L’art est une vanité
« Ce sont des vêtements faits pour des groupes de personnes non spécifiées. Et en même temps j’ai fait en sorte que chaque personnage soit perçu comme un individu. Il y a des analogies formelles et en même temps chaque pièce est unique, une tension entre le semblable et le différent », commente encore l’artiste.
Il y aussi chez Willem de Rooij, et dans cette opération de collecte, quelque chose d’assez passionnant qui consiste à rompre la mécanique de transfert pour mieux la révéler. Quand Fong Leng s’aventure du côté de la production standardisée, avec le pire (la perte d’identité) et le meilleur (la démocratisation), Willem de Rooij, lui, fait revenir dans le circuit privée, et en l’occurrence dans le circuit marchand de l’art, une production bon marché qui avait vocation à circuler librement.
Avec la série des bouquets qui ponctuent chacune de ses expositions, c’est exactement l’inverse : une manière de dire, l’art est une vanité et il ne restera rien une fois l’exposition terminée, puisque les fleurs, c’est bien connu, sont périssables. « Willem de Rooij appartient à cette génération qui a traversé la fin d’un système (aucun n’est éternel), la phase terminale du capitalisme, sa crise structurelle. Qui a vu l’accumulation sans fin des biens de production, l’exténuation d’anciens rapports de force et de distribution », conclut Stéphanie Moisdon, la commissaire de l’exposition.
Claire Moulène
The Impassioned No, jusqu’au 27 septembre au Consortium de Dijon
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