[Série d’été: les collectionneurs] Martin Scorsese a prêté au Moma de New York de sublimes affiches de l’âge d’or des studios, tirées de sa collection personnelle. On y découvre un univers violent et flamboyant dont le maître a nourri son imaginaire.
[Mick Jones, Willem de Rooij, agnès b. : tout l’été, nous vous présentons une série de papiers exclusifs sur des collectionneurs atypiques qui exposent en ce moment, partout dans le monde]
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Martin Scorsese a grandi dans le Queens dans les années quarante, à l’époque où les affiches de cinéma influençaient l’imaginaire collectif… Et sur lesquelles dépendait largement le succès des films. Lui-même garde un souvenir brûlant de l’affiche de Duel au soleil, de King Vidor (1946), qui porte en elle tous les critères de sa future collection : “Des explosions de couleur délirantes, des coups de feu, l’intensité sauvage… Le soleil ardent, la sexualité débridée”, explique-t-il aux curateurs de l’expo Scorsese Collects (Museum of Modern Art of New York, jusqu’en octobre). Trente-quatre posters tirés de sa collection personnelle sont sobrement exposés au sous-sol du Moma. Ils racontent quarante ans de cinéma, de l’âge d’or des studios à leur agonie. Ils racontent surtout quarante ans d’art graphique et portent en eux, selon le maître, « l’ADN de leur époque« .
Pour Scorsese, les cinéastes américains ont toujours été « plus intéressés par créer de la fiction que par filmer une réalité » et les illustrateurs auxquels il rend hommage – les vraies stars de l’expo – exploitent toutes les techniques pour suggérer plus de sexe, de baston et d’angoisse que le film offrira au final. Perspective, couleur, effets d’échelle… Plus bel exemple : un époustouflant poster de Sur les quais d’Elia Kazan, conçu par Anselmo Ballester. Il imagine un Marlon Brando ensanglanté, vengeur, regard de braise, encerclé par un sinistre vol de pigeons. Au premier plan, un crochet d’où perlent des gouttes de sang. Au loin, une horde de dockers quasi zombies suivent Brando, qu’on imagine meneur d’une sourde révolte. L’affiche est expressionniste, en total contraste avec le réalisme du film.
Le musée n’explique pas les choix de Scorsese. Esthétique pure ? Influence du film sur son œuvre ? Ou encore l’affectif, l’histoire autour de l’achat ? (Beaucoup sont des affiches italiennes de films américains et on connaît l’amour de Scorsese pour Rome et Cinecittà, où il a entièrement filmé Gangs of New York.) Autant de questions sans réponse : comme à la fin de certains grands films, l’expo est sujette à interprétation.
Un indice, relevé dans l’introduction du livre Startruck, dédié aux posters hollywoodiens vintage. Scorsese y écrit que « l’image d’une affiche s’inscrit dans la rétine… Une partie de l’excitation, à l’époque, était de voir un film puis de le comparer avec le film que vous aviez imaginé en observant son affiche quelques instants. Elle donnait des indices… Tout en gardant sa propre part de mystère et de romance. »
Ce voyage sur la planète cinéma à travers les yeux de Scorsese débute dans les années trente, avec une affiche futuriste de Quatre de l’aviation (The Lost Squadron, George Archainbaud, 1932), conçue par René Péron. Il s’achève quarante ans plus tard par une affiche britannique de Mean Streets : une pyrogravure de Robert de Niro, sourire psychopathe sur fond écarlate, brandissant un flingue sur nous. Des trente-quatre affiches, quatre représentent des œuvres que Scorsese emmènerait sur une île déserte (selon une liste de ses dix films préférés faite en 2012 pour Sight and Sound). 2001 de Kubrick ; La Prisonnière du désert de John Ford ; un poster transalpin puissamment érotique de The Red Shoes (Les Chaussons rouges), de Michael Powell et Emeric Pressburger,de Powell et Pressburger ; et Sullivan’s Travel, de Preston Sturges.
Deux illustrateurs se détachent par leur pouvoir d’évocation : l’italien Anselmo Ballester et le Britannique Peter Strausfeld. Une place à part leur est réservée avec un triptyque chacun, tandis qu’un illustrateur de la RKO, qui a conçu trois posters pour le compte du roi de l’épouvante Jacques Tourneur (La Féline, Zombie…) demeurera éternellement anonyme.
Les cinéphiles ne seront pas surpris de la proximité avec l’œuvre de Scorsese et ses marottes : films noirs, films d’angoisse, fresques historiques. Certaines évoquent ses propres films : Ex-Campione (Ex-Champ, 1940, Philip Rosen) pour Raging Bull ; Quatre de l’aviation, en écho à The Aviator ; les films noirs pour Les Nerfs à Vif, Shutter Island ou The Departed (Les Infiltrés). Scorsese réserve enfin une place à part aux metteurs en scène français, avec le monument de l’angoisse Les Yeux sans visage, de Franju. Et surtout Max Ophuls : Madame de…, La Ronde, et Le Plaisir ont un mur dédié au premier sous-sol.
Scorsese Collects, Moma, New York, jusqu’au 7 octobre 2015
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