Après “Vessel”, la créativité du chorégraphe et du plasticien japonais émerveille dans le second volet de leur dyptique commun, monté vaille que vaille en pleine pandémie.
Le plateau de la salle Jean Vilar à Chaillot ressemble à une planète inconnue recouverte de sable noir et scintillant. Les pieds pris dans le katakuriko (sorte de fécule de pomme de terre), une demi-douzaine de danseur·euses ont des allures de visiteur·euses de l’espace, le pas comme dégagé de toute pesanteur. L’image est somptueuse. Mais Damien Jalet, peu satisfait. On reprend la scène. Nous sommes en juillet dernier, à Paris, et le chorégraphe français peaufine sa dernière création.
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Le katakuriko, le public a pu le découvrir dans son précédent spectacle, Vessel, donné il y a peu en France. Liquide lorsqu’on la manipule, la matière se fige dès lors qu’on la délaisse. Planet [wanderer] avance alors à pas comptés. Il a fallu faire – et défaire – avec la pandémie, reporter la création d’un an. Au moment de notre rencontre avec Damien Jalet en plein cœur de l’été, le plasticien-scénographe Kohei Nawa et ses collaborateur·trices n’ont pu rejoindre les interprètes. “12 000 kilomètres nous séparent. C’est un challenge énorme. Nous avions pu, pour Vessel, travailler directement au Japon au plus près de Kohei. Ce qu’aujourd’hui nous faisons à distance, grâce à la technologie”, nous confie alors Jalet. Manière de dire que rien ne peut remplacer le contact humain, surtout pas une réunion Zoom.
Se plie mais ne rompt pas
Il est question de sous-monde dans Planet, de plaine centrale des roseaux, en référence à la mythologie japonaise. “Le roseau est d’une certaine façon un symbole de résilience.” Damien Jalet sait de quoi il parle, ayant vécu les tremblements de terre au Japon, en 2011. “Lorsque la terre semble devenir élastique sous vos pieds, vous avez une autre conscience de cet environnement. Et de la puissance des éléments naturels que l’homme essaye de dompter.”
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Avec Kohei Nawa, le chorégraphe a parcouru des endroits touchés par le tsunami. “On a constaté que le lien des habitants avec la mer était quasi traumatique. Je me souviens de ce poste de télévision trouvé sur place et devenu un fossile contemporain.”
Ces réflexions et ces visions ont nourri le projet de Planet [wanderer], “un peu comme le testament de notre victoire sur les éléments”. Les deux artistes partagent l’idée de la fusion : “Ne plus distinguer nos pratiques pour laisser émerger une vision commune.” Telle celle de ce paysage lunaire (en fait du silice de carbone) ou de ces cratères blanchâtres. “D’une certaine façon, Planet sera plus ‘humain’ que Vessel. Avec cette idée de bipédisme à l’œuvre, une verticalité retrouvée.”
Il y a un mois et demi, les danseur·euses cherchaient encore leurs marques, devant apprivoiser des matières nouvelles. “Les corps changent en fonction de leur environnement. La pièce va rendre compte de cet état de transformation”, dans l’esprit d’un spectacle expérimental. Dans le théâtre vide, la musique de Tim Hecker semblait jaillir des profondeurs. Damien Jalet avait déjà utilisé une composition du musicien canadien. Son album Konoyo devrait servir de bande-son à Planet [wanderer].
Séparation
Durant de longs mois, Damien Jalet s’est accommodé des confinements, des répétitions masquées et des cas contacts. Lors de son dernier voyage au Japon, le chorégraphe voyait les frontières se refermer derrière lui après son vol, et son collaborateur Aimilios Arapoglou rester en Europe. À son retour fin 2020, Jalet, une fois Planet repoussé, se lançait dans une pièce pour le Ballet de l’Opéra de Paris, Brise-lames, puis une création avec le Nederlands Dans Theater, sous la forme d’un film, Mist. “J’ai l’habitude des spectacles à la limite”, sait plaisanter, à peine, Damien Jalet. Le wanderer du titre, ajouté à Planet, se traduit par “vagabond”. Ce qui sied bien au tempérament d’un chorégraphe d’ici et d’ailleurs.
Planet [wanderer] de Damien Jalet et Kohei Nawa, avec Shawn Ahern, Kim Amankwaa, Aimilios Arapoglou…, du 15 au 30 septembre, Théâtre de Chaillot, Paris ; le 13 octobre, Théâtre des Arts, Rouen ; le 11 décembre, Palais des festivals, Cannes.
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