Dans le patio du musée d’Arts de Nantes, Pierrick Sorin mêle des pièces de jeunesse et d’autres plus récentes dans une parfaite cohérence : la mise en scène juste et enjouée d’une œuvre nourrie de théâtres optiques hilarants.
“Peindre ou faire l’amour”, se demandaient les frères Larrieu dans un film du même nom ; pour l’artiste Pierrick Sorin, le dilemme de l’artiste se concentre sur un enjeu plus prosaïque encore : peindre ou nettoyer. Ou plus exactement, peindre et nettoyer.
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Sa nouvelle pièce, Peindre et nettoyer, ou la volonté à l’œuvre, exposée dans le patio du musée d’Arts de Nantes – qui l’a invité à Faire bonne(s) figures(s), dans une rétrospective rassemblant de manière cohérente ses installations et films les plus attachants de ces 30 dernières années –, traduit à la fois l’horizon pratique de tout·e peintre, tenu·e de nettoyer sa toile, et la façon qu’a l’artiste de rire de ce geste répétitif. Comme le signe d’un combat permanent avec lui-même, d’une relance créative jamais complètement aboutie.
Dans cette installation vidéo, un homme – lui, comme dans toutes ses vidéos – se livre à des expériences picturales sur des vitres matérialisées par des écrans vidéo translucides. On le sent habité par la volonté de “faire œuvre”, tout en butant sans cesse sur le geste parfait. Comme si peindre débouchait sur l’expérience déceptive d’un inachèvement créatif. Dans cet inachèvement même, l’intensité de l’effacement répété de la peinture devient pourtant un geste artistique en soi.
Entre merveilleux et comique de situation
Sans en faire un manifeste théorique, Pierrick Sorin suggère par le jeu et le mouvement absurde de son personnage une image de l’état d’artiste ; un type qui recommence, répète, repart, prisonnier d’une transe de la tentative. Comme le disait Beckett : “Essayez encore. Rater encore. Rater mieux.” Pierrick Sorin le dit à sa manière : “L’acte banal de nettoyer devient le substrat d’une expérience artistique […]. Ce qui m’a frappé en réalisant cette œuvre, c’est que j’étais moi-même en proie aux sentiments que je prêtais à cet être fictif. J’étais pris entre fascination et crainte de l’échec.”
Comme le rappelle avec éclat l’exposition du musée d’Arts de Nantes, où le patio lui est entièrement consacré, ainsi que la chapelle de l’oratoire, Pierrick Sorin s’inscrit dans une tradition visuelle où se mêlent les codes des films de Georges Mélies et de Jacques Tati, entre merveilleux et comique de situation, entre féérie et débordement des gestes quotidiens, entre rêve enchanteur et matérialité de l’existence absurde.
Ses personnages, qu’il endosse dans tous ses films, comme une sorte de Monsieur Hulot à lui, s’agitent dans tous les sens, perdus dans les injonctions contradictoires du monde, incapables de s’ajuster parfaitement aux règles. La banalité du bien, l’ordinaire du quotidien, la répétition des choses : on retrouve une certaine idée obsessionnelle du rapport au monde de l’artiste dans toute l’exposition curatée par Katell Jaffrès. “Le quotidien comme lieu propice à révéler le fonctionnement souvent absurde de l’humain m’a intéressé très tôt”, confie-t-il.
L’évasion comme motif
Mais dans cet ordre du quotidien, surgit immanquablement l’horizon du merveilleux, du fantastique, de l’absurde, comme si l’artiste avait besoin de tordre la normalité pour l’ouvrir à un monde qui s’y oppose et dérègle sa mécanique trop huilée. Il y a toujours quelque chose qui cloche et qui vibre à la fois dans les installations vidéo de Pierrick Sorin.
Perdre ses clés et être gagné par l’angoisse (L’homme qui a perdu ses clés, 1999/2017), tenter de tenir debout sur des savonnettes (Chorégraphie aux savonnettes, 2014) ou sur un tourne-disque (Vélocité matinale, 2014), vivre dans une maison de poupée (I Would Like to Live in a Doll House, 2011) ou marcher sur la Lune (Pierrick on the Moon, 2019) : les voyages que fait Pierrick Sorin dans ses petits films lunaires n’ont que l’évasion comme motif.
L’évasion de soi-même et de son espace de vie, l’évasion devant le réel qui cogne, l’évasion de l’ennui et de l’esprit de sérieux, contre lequel l’artiste s’est toujours élevé depuis les années 1990, l’époque où il impose sa petite musique singulière, atonale, dans le paysage pas très drôle de l’art contemporain, avec des courts métrages et des installations visuelles à effet holographique, qu’il appelle “théâtres optiques”.
L’un des artistes les plus joyeux·ses du paysage hexagonal
Rire de lui-même, mais rire aussi des codes de l’art, Sorin s’autorise tout, comme dans son Dommage à Buren 2 (2000), où de la peinture dégouline sur les bandes fétiches de Daniel Buren, dans un hommage ironique et poétique à la figure tutélaire de l’art contemporain. Pierrick Sorin n’est d’ailleurs jamais méchant ; il cherche à faire bonne figure, comme le rappelle le titre de l’exposition.
Cette volonté de la bonne figure se fait rattraper par les maladresses et les accidents de la vie, pas toujours simple, à l’image des réveils matinaux, qu’il explorait dans l’un de ses tout premiers projets, Les Réveils (1988). Dans ce petit film ébouriffant tourné en Super 8, Pierrick Sorin se met en scène durant des semaines au petit matin : un autoportrait de l’artiste en homme fatigué, jamais frais, une forme d’archive du quotidien et de la répétition des gestes qui obsèdent son travail.
De manière à la fois généreuse et habile, le parcours concentré dans le patio du musée confirme, s’il en était besoin, que les figures acrobatiques de Pierrick Sorin en font l’un des artistes les plus joyeux·ses du paysage hexagonal. Pour s’en convaincre et voir de près les circuits électriques de ses rêveries filmées, il est même permis, grâce au Voyage à Nantes, de visiter son atelier au 25 rue Fouré, l’antre secret de son imaginaire illusionniste et illuminé.
Pierrick Sorin : Faire bonne(s) figure(s), musée d’Arts de Nantes, jusqu’au 1er septembre.
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