Pour sa première incursion dans le lyrique, le metteur en scène adapte Poe façon film d’épouvante sur une partition revue par la compositrice Annelies Van Parys.
Ayant longtemps résisté à la tentation du lyrique, Philippe Quesne vient de sauter le pas en créant Usher au Staatsoper Unter den Linden, l’un des trois opéras de Berlin. “Couplée à l’idée de retravailler un projet que Claude Debussy n’avait pu finaliser, cette proposition d’une adaptation de La Chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe, dont je suis fan depuis toujours, a eu raison de mes réserves quant à l’opportunité de me jeter enfin à l’eau pour mettre en scène un opéra.”
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C’est en 1908 que Claude Debussy rédige le livret et compose une vingtaine de minutes de musique. A sa mort, en 1918, la partition reste inachevée. A partir de ces précieuses archives, la compositrice Annelies Van Parys s’est lancée dans l’écriture d’un opéra de chambre en développant et séquençant les motifs originaux de Debussy pour qu’ils ponctuent l’œuvre nouvelle tout au long de la représentation.
Immersion dans une atmosphère vénéneuse
D’emblée, Philippe Quesne immerge les spectateurs dans l’atmosphère vénéneuse de la maison Usher. C’est en foulant au pied une épaisse moquette grise pareille à une couche de cendres, en contournant un fauteuil, un canapé et le désordre d’une table de travail où s’amoncellent des maisons en carton qu’on regagne sa place sur un petit gradin. Dans ce salon où nous faisons figure d’invités, les protagonistes de la soirée sont déjà tous réunis autour de la cheffe Marit Strindlund et des musiciens de l’orchestre.
Avec Poe, un dérèglement des sens propre à l’hallucination pervertit le récit à partir du moment où un proche de la famille rend visite au couple de jumeaux que forment Roderick Usher et sa sœur lady Madeline. A ce trio, Debussy ajoute la présence d’un docteur.
Avec ce personnage transformé en une sorte de gourou manipulateur, l’équipe détient la clé d’une échappatoire pour emmener le récit vers une résurrection témoignant d’une contemporaine modernité. “Pas plus qu’Annelies Van Parys du point de vue musical, je ne voulais rester bloqué sur les images d’une fantasmagorie du XIXe siècle, en me contentant d’une histoire de vampires incestueux qui profitent de la visite d’un ami d’enfance pour reproduire le cérémonial de leur mort et de leur renaissance comme un passe-temps pervers. »
« Je me suis inspiré des sagas des Amityville et de Poltergeist, ce cinéma d’épouvante né entre les années 1970 et 1980 aux Etats-Unis. Avec ce nouveau genre, les films d’horreur trouvent un moyen de focaliser la culpabilité d’une époque où le bonheur de vivre dans le confort se transforme irrémédiablement en un cauchemar entre quatre murs.”
Des multitudes de projets menés de front
Ainsi, on ne s’étonne pas des dégaines dignes d’Alice Cooper et de ses fans qu’arborent David Ostrek (Roderick Usher) et Ruth Rosenfeld (lady Madeline). A leurs côtés, Martin Gerke (l’Ami) a le look rassurant d’un thésard tandis que Dominic Kraemer (le Médecin), dans sa chemise à carreaux, est inquiétant à force de vouloir se rendre transparent. La limpide partition de Van Parys s’accorde alors à merveille avec l’angoisse distillée par Philippe Quesne en dédicace à un cinéma cruellement déjanté.
Précédant d’une semaine la création de son opéra berlinois, Philippe Quesne invitait pour la Nuit Blanche le public parisien à découvrir sa mise en lumière et en musique des entrailles métalliques du grand rocher du zoo de Vincennes.
A son retour d’Allemagne, il reprend les répétitions de Crash Park, la vie d’une île, qu’il crée dans la foulée à Rennes, au Festival du TNB. On pointe du doigt les dangers d’un surbooking. Mais cette rentrée bousculée a l’art de réjouir l’artiste, qui avoue qu’il y a des moments où ce sont les projets qui vous mènent par le bout du nez. Qui s’en plaindrait ?
Usher Opéra de chambre d’Annelies Van Parys/Claude Debussy, d’après La Chute de la maison Husher d’Edgar Allan Poe, livret Gaea Schoeters/Claude Debussy, direction musicale Marit Strindlund, mise en scène Philippe Quesne. Jusqu’au 30 octobre, en français surtitré en allemand, Staatsoper Unter den Linden à Berlin
Crash Park, la vie d’une île Conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne. Du 8 au 10 novembre, dans le cadre du Festival TNB, Le Triangle-Cité de la Danse, Rennes. Du 26 novembre au 9 décembre, Théâtre Nanterre-Amandiers Centre dramatique national
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