A la Quadriennale de Prague, Philippe Quesne témoigne avec Microcosm du renouveau scénographique français dans la capitale tchèque. Il vient de remporter pour la France le prix du meilleur pavillon de la section « Pays et Régions » pour cette édition 2019.
Manifestation consacrée à un panorama des scénographies de spectacle venues du monde entier, la Quadriennale de Prague fête ses cinquante ans d’existence. Voilà quinze ans que la France n’a pas pris part à la compétition, et pour son retour, elle décroche le titre de meilleur pavillon (avec la Catalogne et la Hongrie). De quoi donner à cette édition 2019 une saveur toute particulière. Et c’est grâce à Philippe Quesne et son installation Microcosm. Le metteur en scène et scénographe accompagne également le travail d’un groupe d’étudiants représentant les huit écoles supérieures où la scénographie est enseignée dans l’hexagone. Rencontre.
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Que représente pour vous le fait d’avoir été choisi pour incarner la présence française au rendez-vous international de la scénographie de la Quadriennale de Prague ?
Philippe Quesne – J’ai répondu à cette invitation d’une manière très spontanée car, à travers l’évènement de la Quadriennale, c’est la place de la scénographie dans le spectacle vivant qui est à chaque fois reconsidérée. La scénographie fait souvent figure de parent pauvre des arts alors que beaucoup de pièces sont indissociables des œuvres spatiales dans lesquelles elles se donnent. C’est très important pour moi que cette dimension soit reconnue et, en l’occurrence, c’est elle que l’on met en pleine lumière à Prague.
Quels sont vos rapports avec l’événement praguois ?
Je me sens partie prenante du mouvement initié ici depuis très longtemps. En permettant des rencontres avec des artistes comme Robert Wilson ou Robert Lepage, la Quadriennale a depuis toujours été un lieu témoignant d’une consciente aigüe du rôle pédagogique qu’elle pouvait jouer dans la diffusion des idées propres à l’évolution du métier de scénographe. J’ai commencé à venir à Prague alors que j’étais encore étudiant pour assister à des masterclasses avec des artistes de renommée internationale. Puis, c’est à moi que l’on a demandé de réaliser des ateliers lors des deux dernières éditions. J’aime le côté carrefour de cet évènement et la sensation qu’il me donne d’être face à un miroir de la création scénographique mondiale.
Que dire du retour de la France en compétition après une absence de quinze années?
J’en suis très heureux car je pense que ce retour d’une présence nationale témoigne aussi du vaste mouvement de fond qui se joue en ce moment en faveur de la reconnaissance de la scénographie sur les scènes françaises. Il était nécessaire de pouvoir rendre compte de ce nouveau souffle. Mais il ne s’agit pas uniquement de renouveler le regard que l’on porte aujourd’hui sur les créations, il est aussi très important de témoigner du travail réalisé dans les écoles d’art, de théâtre et d’architecture où l’on constate un succès de la scénographie qui est sans précédent auprès des étudiants.
Quelle nécessité vous a conduit à ne plus vous satisfaire de créer des scénographies pour les autres mais d’en faire la source de vos propres spectacles ?
Accompagner le travail d’un metteur en scène au théâtre ou à l’opéra reste pour moi quelque chose de formidable. Mais il y a toujours un sentiment de frustration à intervenir sur une œuvre dont on ne maîtrise pas entièrement les tenants et les aboutissants. J’ai depuis toujours lié le travail de la scénographie à l’art de l’écriture. A un moment, j’ai eu envie d’ajouter un autre niveau de lecture en faisant entrer de la vie dans la balance pour exalter les possibles de l’imaginaire contenu dans les espaces que je créais. Faire correspondre des espaces avec des histoires et des matériaux avec des présences était une occasion d’aller au-delà de la notion d’installation et une manière pour moi de sortir du monde des arts visuels.
Quelles sont les règles qui président aux rencontres de la Quadriennale ?
La règle est la même pour tous les intervenants. Nous devons inscrire notre participation dans un carré de cinq mètres par cinq mètres. Avec ce préalable d’avoir à disposition la même surface à traiter, j’adore l’idée que chaque participant dispose comme lors d’un examen d’une même feuille blanche où il a le loisir de s’exprimer en toute liberté. C’est un choc de découvrir dans une même halle d’exposition la réunion de tous ces travaux témoignant de tant de cultures différentes.
Comment avez-vous procédé pour le pavillon représentant la France ?
Il fallait d’abord dépasser la situation très intimidante d’avoir à représenter son pays. J’ai fait le choix de témoigner de mon propre parcours en présentant un théâtre d’objets qui rassemble des éléments récurrents que j’ai utilisés dans mes pièces depuis quinze ans. On peut y reconnaître les baies vitrées qui existaient déjà dans L’Effet de Serge et le piano mécanique qui a déjà joué dans plusieurs de mes spectacles, de La Mélancolie des dragons à Crash Park, la vie d’une île. Pour le reste, je suis parti de l’idée de recycler les rebuts. Une poésie des chutes diverses qui m’a permis de mettre en avant ce qui reste sur le sol de l’atelier avant le coup de balai : de la boulette de papier froissé aux morceaux de mousse ou de polystyrène expansé. Les scénographes ont l’habitude de copier la nature, c’est peut-être pour cela qu’ils ont une longueur d’avance quand celle-ci est menacée. On a tous été émus de voir une manche à air flotter dans un désert ou une éolienne rouillée continuant de tourner en vain. Microcosm est un décor de fin du monde où il ne reste que des machines pour témoigner de ce que fut l’humanité. La scénographie imite le réel, avec mon salon de musique, je convoque des petits fantômes animés construits avec des matériaux dont le destin était de finir dans une benne. C’est l’idée d’un monde de sentiments très humains incarnés simplement par des automates. Une forme de vie qui se passe des vivants.
Comment avez-vous accompagné le travail des étudiants qui concourent pour la France à la Quadriennale ?
J’ai été immédiatement séduit par le fait que chacun des étudiants étaient le représentant d’une des huit écoles où l’on enseigne la scénographie en France. Très vite, ils se sont eux-mêmes désignés comme un groupe formant la Neuvième école. Comme directeur du théâtre Nanterre-Amandiers, je leur ai proposé de venir réfléchir et travailler dans nos ateliers de construction. J’aime l’idée qu’ils aient inscrit leur contribution dans un concept qui se revendique de la mobilité. Avec leur dotation, ils ont acheté un petit camion qu’ils ont réaménagé de manière très organique avec une « tête » en forme de régie technique et un « ventre » conçu comme une salle de rencontres et de spectacles. C’est une proposition qui mise sur la possibilité de faire voyager une scénographie et d’en faire un endroit de partage avec le public. J’espère qu’ils pourront bientôt la déplacer aussi d’une école à l’autre. Pour l’instant, la première étape va les amener de Prague au Festival d’Avignon dans le cadre des 12 heures de la scénographie, organisé par Artcena à la Maison Jean Vilar. Le but étant qu’ils rendent compte de la Quadriennale à travers une série de captations réalisées à Prague et le film d’une visite de l’exposition que je vais commenter avec eux.
Les 12 heures de la scénographie ! une proposition d’Artcena dans le cadre du festival d’Avignon, Maison Jean Vilar, le 10 juillet de 12h à minuit, entrée libre
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