Connu pour ses vidéos, du clip à la série télé, et ses collaborations avec DIS, Balenciaga ou Wolf Eyes, l’artiste présente au Centre d’art contemporain quinze années de récits picaresques sur notre époque paranoïaque.
Un papier peint, à l’échelle du mur, accueille le visiteur ou la visiteuse. Là dans un cadre domestique, un personnage lace ses chaussures l’air absent. Son corps est blanc, l’extrémité de ses membres noire. Clown triste dans un showroom Ikea. Ce n’est pas tout : à la place des yeux, des oreilles qui lui dévorent le visage. Au seuil des deux étages que dédie, à Genève, le Centre d’art à Will Benedict, et avant même de plonger dans les vidéos, clips, peintures et posters qui déplient quinze années de pratique, tout est déjà en germe.
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Une tonalité d’ensemble d’abord : une gravité sarcastique chevillée au quotidien le plus immédiatement générique. Le traitement de l’image dans l’image ensuite, ouvrant sur une spirale d’intertextualité en ricochet et de portes dérobées qui ne mènent nulle part. De quoi ressentir, déjà, le vertige de la totalité qui glisse en surface, et pourtant, rester là, médusé·es, incapables de se débrancher du flux médiatique. Car il n’y a pas de hors-cadre, ni d’issue de secours, tant l’artiste angeleno, aujourd’hui installé à Paris, maîtrise comme personne l’exacerbation des rouages des industries du divertissement.
Il en va de mécanismes perceptifs intériorisés, tels qu’ils remodèlent l’expérience du réel
Dans ses premières œuvres peintes déjà, l’insert d’un cadre en haut à gauche au sein même de la représentation indiquait, sans le figurer, le complexe télévisuel, tout comme les posters témoignaient d’un travail collectif délesté de la signature individuelle. Ici, elles occupent l’étage supérieur, manière d’instaurer une continuité de pensée avec les vidéos rassemblées à l’étage inférieur : il en va d’une qualité d’attention dissociative, de mécanismes perceptifs intériorisés, tels qu’ils remodèlent l’expérience du réel.
La faculté rare de percevoir l’absurdité
Ainsi, certains personnages ressurgiront au sein des vidéos, à l’instar de ces hybrides constituant la signature la plus reconnaissable d’un artiste qui, précisément, n’œuvre jamais seul mais toujours au sein de dynamiques collaboratives – entre autres, les artistes Puppies Puppies, le collectif curatorial DIS, les musiciens Wolf Eyes et Chris Korda.
Dans ses vidéos arpentant l’intervalle entre le clip musical, l’émission de télévision ou le spot publicitaire, cela sera tour à tour un alien invité sur un plateau de talk-show (I Am a Problem, 2016), un dauphin présentateur d’émission culinaire (Toilets not Temples, avec David Leonard, 2014) ou encore ce même clown triste affublé d’une crête de coq et ses comparses à tête de dindon (The Restaurant, saison 1 et 2, avec Steffen Jørgensen, 2017 et 2021).
L’obsession pour l’être humanoïde est une figure de style : il s’agit de l’éternel·le étranger·ère – à notre planète, mais aussi plus fondamentalement à un système de références tenu pour acquis. À lui et elle, tel·les que décollé·es de la surface gluante du réel techno-médiatique, revient la faculté rare de percevoir l’absurdité qui en sourd de toutes parts, et la relativité des hiérarchies morales, des injonctions à l’auto-optimisation ou à l’individualisation des échecs structurels.
Un homme en plein délire fiévreux entend deux chiens bavarder au sujet de leurs maîtres iniques et stupides
Le titre de l’exposition ne dit pas autre chose : il provient de la nouvelle Le Colloque des chiens, écrite au tournant du XVIIe siècle par Cervantès, où un homme en plein délire fiévreux entend deux chiens bavarder au sujet de leurs maîtres iniques et stupides. Si Will Benedict échafaude à son tour les récits picaresques du capitalisme cognitif, l’anti-morale à en tirer pourrait être celle-là : le jour où les poules auront des dents, les yeux des prosommateur·euses se dessilleront enfin.
Dialogue of the Dogs de Will Benedict jusqu’au 18 décembre, Centre d’art contemporain Genève.
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