Le Centre Pompidou-Metz révèle comment la nuit a pu contribuer, dans l’histoire de la peinture, à libérer le style.
Pas moins que le nu, la nuit traverse l’histoire de l’art. Seulement, on le sait moins : “Guernica de Picasso, le Carré noir sur fond blanc de Malevitch, Fresh Widow de Marcel Duchamp : un grand nombre d’œuvres majeures du XXe siècle sont nocturnes même si l’on ne les a pas toujours imaginées comme telles”, révèle Jean-Marie Gallais, commissaire de Peindre la nuit. L’exposition qu’il a imaginée au Centre Pompidou-Metz rassemble une centaine d’artistes selon un parcours pour lequel “la perception et non l’histoire” a servi de fil rouge.
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Dans l’histoire de la peinture, le nu incarne pour l’artiste la pulsion scopique ultime. En cela, sa représentation est intimement liée au développement de la tradition figurative. La nuit, au contraire, se pose tout autant à l’inverse des valeurs du jour que de celles de la représentation du nu, et génère alors une peinture qui ne se fait pas, elle, tant avec l’œil qu’avec la main. En exacerbant le ressenti physique, la nuit incite à se décoller du réel.
La nuit, premier pas vers l’abstraction
C’est elle, la nuit, qui mènera Claude Monet au bord de l’abstraction avec Leicester Square, la nuit (1900-1901) – l’impressionniste tentera, trois fois de suite, de peindre son vertige coloré avant d’abandonner. Pour Alex Katz, présenté dans la même salle, les Night Paintings fournissent le prétexte à l’abandon de la perspective au profit des effets de surface qui feront de lui l’un des grands portraitistes du pop art.
Plus loin, un jeune Robert Delaunay, alors âgé de 21 ans, se laisse entraîner par les sirènes électriques de l’éclairage public. En 1906-1907, il peint Paysage nocturne (le fiacre) qui traduit la fascination mystique qu’il éprouve vis-à-vis des bouleversements technologiques du siècle naissant.
Cette grille de lecture vaut surtout pour la période moderne où la nuit contribue à libérer le style. Dans l’ensemble, c’est avant tout au sein de la production de chaque artiste que le motif nocturne ménage des bulles d’invention détachées des conventions picturales ordinaires.
Des rues interlopes grouillant d’une contre-société d’éclopés
Par la vaste période chronologique qu’elle couvre, l’exposition Peindre la nuit se prête surtout à la découverte d’anecdotes et d’œuvres moins connues de grands maîtres. Dans l’ensemble, la visite se fait en papillonnant d’un tableau à l’autre, à l’exception d’un accrochage plus précis consacré aux années 1920 1930 en Allemagne.
Cette séquence est au contraire d’un réalisme cru car elle ne dépeint pas tant l’obscurité que les habitants qu’elle abrite en son sein. Affiliés à la Nouvelle Objectivité, Georg Scholz ou George Grosz peignent des rues interlopes grouillant d’une contre-société d’éclopés.
Mais ces brigands, prostituées et mutilés de guerre inventent entre eux une société utopique qui se passe bien du jour, et où mûrissent soir après soir les ferments de la révolte et la lutte des classes à venir. La nuit n’attend pas que le retour du jour, elle nourrit des promesses d’inédit.
Peindre la nuit Jusqu’au 15 avril 2019, Centre Pompidou-Metz
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