Avec un dispositif sophistiqué, Marc Lainé met en scène la vie d’un couple amoureux miné par les rapports de domination sociale. Une pièce singulière et remarquablement incarnée.
Le point de départ évoque Scènes de la vie conjugale, la série d’Ingmar Bergman. C’est l’histoire d’un couple, qui durera dix ans, racontée au travers de cinq moments de sa vie, saisis entre de longues et fécondes ellipses.
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L’action se déroule dans le huis clos d’un compartiment de train, entre Paris et le nord de la France. On est au début des années soixante-dix ; les barricades de Gay-Lussac sont encore dans les esprits, les wagons sentent la cigarette, Georges Perec vient de sortir un livre.
Un homme et une femme
Un homme et une femme entrent en scène, prennent place sur les banquettes opposées. Il est prof de philo, parisien jusqu’à la moelle, et enseigne dans un lycée technique de l’Aisne. Elle est vendeuse au Bazar de l’Hôtel de Ville, originaire de Saint-Quentin, et s’en va passer le week-end chez ses parents. Dans ce même compartiment, ces deux personnages vont se rencontrer, annoncer leur mariage, chercher leur enfant ; ils se rendront au chevet de sa mère à elle, malade, et se retrouveront une dernière fois à son enterrement, au moment de leur séparation.
C’est une histoire atrocement cruelle, comme celle de Bergman. Mais là où le cinéaste suédois cherchait à montrer l’impossibilité de la vie en couple, Marc Lainé – qui cumule ici les casquettes d’auteur, de metteur en scène et de scénographe – s’intéresse à la façon dont la différence de classe, irréductible et infranchissable, va miner leur histoire d’amour.
Il est prof de philo raté, mais deviendra un écrivain à succès, fréquentant le monde littéraire. Elle est simple bachelière, mais se lancera, sur ses conseils, dans des études de philosophie au centre universitaire de Vincennes, collaborant à une revue féministe. Mais toujours, leur origine posera problème. Odieux, méprisant, voire carrément toxique, il l’écrasera, au fil de ces dix longues années, de sa fausse bienveillance ; il exploitera leurs différences à des fins romanesques et il ne supportera pas son émancipation, lui qui se complaît dans la figure de l’intello de gauche, ouvert d’esprit.
À nuancer
Diablement efficace, le procédé est tout de même un peu trop démonstratif. Marc Lainé charge son personnage masculin des pires défauts ; la nuance aurait peut-être mieux montré les mécanismes de domination sociale et patriarcale. Mais son protagoniste, si méchamment croqué (et si merveilleusement incarné par Vladislav Galard), donne lieu à des moments de théâtre délicieux et hilarants.
On se demande seulement pourquoi et comment sa conjointe (jouée à merveille par Adeline Guillot) a fait pour vivre dix ans avec lui. Et puis il y a ce train, qui campe le plus beau rôle de cette pièce. Grâce à un dispositif scénographique extrêmement sophistiqué, filmant un train électrique dont les images sont projetées derrière les comédiens, Marc Lainé fait advenir des paysages, des sons et des ambiances à la mélancolie magnifique. Au centre du plateau, le violoncelliste Vincent Ségal traduit en musique les états amoureux jusqu’au délitement final et la libération de son personnage féminin.
Nos paysages mineurs, écrit et mis en scène par Marc Lainé, avec Vladislav Galard, Adeline Guillot et Vincent Ségal. Jusqu’au 12 décembre, Théâtre 14, Paris. Du 17 au 20 janvier à la Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche. Du 7 au 10 avril, à la Filature, scène nationale de Mulhouse.
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