Après neuf jours de projections, la 41eme édition du festival du court métrage de Clermont vient de couronner ses lauréats. Un palmarès assez réjouissant quoique marqué par quelques malheureux oublis dont le magnifique « D’un château l’autre » d’Emmanuel Marre.
C’est l’un des films les plus inventifs et drôles du festival. L’histoire d’une jeune fille au coeur agité, obsédée par l’arrivée d’un texto qui tarde à venir. C’est en s’inspirant du Fragment d’un discours amoureux de Roland Barthes que Charline Bourgeois-Tacquet, dont c’est le premier court métrage produit après Joujou en 2016, réalise Pauline Asservie. Un film sur la douleur de l’attente et la parole comme réconfort, électrisé par la présence d’Anaïs Demoustier, parfaite en amoureuse transie et volubile. Présenté à la Semaine de la Critique en mai dernier, le film, sélectionné dans la compétition nationale de Clermont, vient de recevoir deux prix : celui de la presse Télérama ainsi qu’une mention spéciale du jury, composé cette année de Vincent Macaigne, Céline Devaux, Hubert Charuel, Dominique Reymond et Jackie Berroyer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
De l’enfance à l’adolescence
Autre réjouissance de cette cuvée 2019 : Côté Coeur d’Héloïse Pelloquet, récit d’apprentissage sensible et drôle déjà passé par le festival Côté Court de Pantin et le FIFIB de Bordeaux, a lui aussi été récompensé à deux reprises. Il empoche également une mention spéciale du jury ainsi qu’un prix Adami d’interprétation hautement dû pour sa jeune comédienne Imane Laurence, irrésistible en ado en proie aux expériences amoureuses.
Tâtonnements amoureux, récit des premières fois, enfance et adolescence… C’est autour des trajectoires de jeunes personnages que nombreux films présentés cette année se rejoignaient. Parmi eux, on trouvait les enfants Nus dans les rues la nuit de Benoit Rambourg, belle et mélancolique ballade nocturne sur le deuil et l’amitié, ou, plus insouciant, le cocasse Nefta Football Club d’Yves Piat, récompensé (toujours en compétition nationale) du Prix du Public. Au stade ado, les filles menaient la danse avec la « revencharde » (doux euphémisme) du Tigre de Delphine Deloget (Prix Canal +), la jeune fille plus sage et décidée de Pile poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller (prix du rire Fernand Raynaud) ou encore les deux copines rêvant d’ailleurs et d’amour de La Ducasse de Margaux Elouagari.
Miroir d’aujourd’hui
Mise à part ces thématiques fortement attachées au format court (qui dit premières fois derrière la caméra dit souvent première fois à l’écran), c’est aussi à un portrait éclaté et contemporain de nos sociétés que ressemblait cette 41e édition. En compétition Labo – niche hybride où se mêlent documentaire, fiction et forme expérimentale – The Migrating Image de Stefan Kruse offre une passionnante réflexion sur la nature des images, leur docilité et sur la manière dont elles peuvent créer des peurs, des fantasmes. C’est également à ce motif que s’intéresse Excess Will Save Us de Morgane Dziurla-Petit, documentaire à tendance très Dumontienne et fable comique sur la force de l’imaginaire et le racisme ordinaire. Alors que Ptit Quinquin et sa bande voyaient débarquer une troupe d’extraterrestres, le village de Villereau souffre, lui, d’un tout autre mal. Il aura suffit d’un simple son lointain (un coup de feu) et d’un imaginaire foisonnant (nourri par les chaînes d’infos continues) pour provoquer la panique des habitants de ce bled du Nord de la France, dont la réalisatrice est originaire. Côté fiction, Jupiter ! de Carlos Abascal Peiró (prix spécial du jury), farce politique autour d’un onéreux jambon et Claude Libre de Thomas Buisson donnaient, eux aussi, à cette édition quelques reflets contemporains. Présenté en compétition nationale, ce dernier suit les tribulations d’une mamie punk en moto, mise hors de chez elle pour des dettes impayées. Aidée d’un garagiste et d’une carabine, la dame tout droit sortie d’une planète grolandaise, parviendra à poursuivre sa route, des billets plein les poches.
Malheureusement, pour les bras cassés du Braquer Poitiers de Claude Schmitz, présenté au FID de Marseille cet été, les recettes ne seront pas aussi fructueuses. Récipiendaire du prix égalité et diversité, cette drôle de comédie sur un braquage qui n’arrive jamais, nous amène quelque part dans le sud de la France. Thomas et Francis, ont pour mission de dépouiller Wilfried, qui accueille la nouvelle les bras et le coeur grands ouverts. Mélange de documentaire (acteurs amateurs et professionnels et pitch de départ inspiré par la rencontre avec Wilfrid Ameuille, personnage et producteur du film) et de fiction, Braquer Poitiers, confirme, après Rien sauf l’été, le talent de son réalisateur pour dépeindre la douce saison de l’été, sa couleur, son atmosphère propice à l’oisiveté et à l’amitié.
Autres récompenses et quelques regrets
En compète internationale, le jury composé de Steve Hawley, Nadav Lapid, Caroline Monnet, Susan Monteiro et Ga-eun Yoon a jeté son dévolu sur Cadoul de Craciun, film roumain de Bogdan Muresanu, traitant du passé dictatorial de l’histoire du pays sur fond de comédie et d’une malencontreuse lettre adressée au père Noël. Autre grand gagnant de cette édition qui cumule prix spécial du jury, prix Canal + et europedan film awards : Leoforos Patision de Thanasis Neofotistos. Expérience immersive saisissante et portait en coupe de la Grèce d’aujourd’hui, le film, un unique plan séquence, trace l’itinéraire mouvementé d’une femme prête à se rendre à une audition de théâtre.
Enorme regret en revanche quant à l’absence au palmarès du très beau D’un château l’autre, le nouveau film d’Emmanuel Marre (Le film de l’été) récompensé du pardino d’Or du meilleur court-métrage en août dernier au festival de Locarno. On y suit le quotidien de Pierre, jeune homme de vingt cinq ans, qui vit chez Francine, soixante-quinze ans, et l’assiste au quotidien. L’étudiant est en plein questionnement politique (Marcon ou Lepen ?) et existentiel (comment rencontrer les autres, s’intégrer à un groupe?). Plongé dans le Paris électoral de 2017, le film immerge son personnage dans la campagne présidentielle. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler celui élaboré par Justine Triet dans La Bataille de Solférino, et qui donne à D’un château l’autre, une ampleur documentaire et actuelle passionnante. Pourtant, s’il est totalement fondu dans son temps, le film, par ses couleurs, ses longues discutions, a quelque chose de presque désuet et d’intemporel. Plus que le tumulte qui anime les rues de la ville, ce sont les conversations entre deux générations, deux âges qui remplissent l’espace du film. Totalement dévoué aux échanges entre les deux personnages, le cinéaste capture la naissance d’une bouleversante relation grâce à laquelle Pierre apprendra que l’engagement n’est pas seulement public mais aussi intime.
Autre petite déception concernant L’espace commun de Raphaële Bezin, auquel Claire Denis, Jean Nkiru et Bruno Nuytten, membre du jury Labo, auront préféré Last Year the Train Passed By de Pang-Chuan Huang, belle escapade documentaire dans laquelle le cinéaste part à la rencontre de celles et ceux qui habitent les maisons de ses photographies prises depuis un train – un programme qui résume bien la tendance de cette stimulante sélection. Avec L’espace commun, cette ancienne diplômée de l’Ecole Nationale Supérieur d’Art de Paris Cergy, fait à nouveau preuve de son goût pour le collage. Voyage physique et sensoriel, petite histoire du cinéma, le film concentré à Rome parle de mémoire cinéphile et d’un pays (le cinéma). La ville n’est pas ici un simple lieu de passage mais un nid d’images, d’hier et d’aujourd’hui, tournées par Pasolini, Moretti ou Fellini. Autre grand amateur de montage, Clément Cogitore présentait The Evil Eye, un saisissant film d’anticipation fabriqué à partir d’images pré-existantes pour lequel il a reçu en novembre dernier le prix Marcel Duchamp. Alors que sur l’écran défilent les échantillons stéréotypés d’un bonheur artificiel, une voix en off, celle d’ une femme, raconte la fin d’un monde, désormais gouverné par le chaos, la maladie et agité par une mer rejetant « les corps qu’elle portait« .
Compétition Nationale
Grand Prix
Ce magnifique gâteau ! de Marc James Roels et Emma De Swaef
Prix spécial du Jury
Jupiter ! de Carlos Abascal Peiró
Prix du public
Nefta Football Club d’Yves Piat
Compétition Internationale
Grand Prix
Cadoul de Craciun de Bogdan Muresanu
Prix spécial du jury
Leoforos Patision de Thanasis Neofotistos
Prix du public
Skin de Guy Nattiv
Compétition Labo
Grand Prix
Last Year the Train Passed By de Pang-Chuan Huang
Prix spécial du jury
Swatted d’Ismaël Joffroy Chandoutis
Prix du public
The Passage de Kitao Sakurai
{"type":"Banniere-Basse"}