Bernard-Marie Koltès accompagne les premiers pas sur les planches de Romain Duris dans une direction d’acteur magistrale signée Patrice Chéreau.
Premier des textes proposés, en décembre 1979, par Bernard-Marie Koltès à Patrice Chéreau, La Nuit juste avant les forêts n’avait pas inspiré le metteur en scène. A la modernité expérimentale de ce monologue intime, composé d’une seule phrase se déroulant sans la moindre ponctuation sur vingt-cinq pages, Patrice Chéreau avait préféré, à l’époque, la théâtralité classique et politiquement plus engagée de l’épopée africaine de Combat de nègre et de chiens.
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Depuis, La Nuit… faisait figure d’exception, était restée dans le placard des non-dits unissant l’auteur et le metteur en scène, lequel, au fil de l’écriture et quasiment en temps réel, nous avait fait découvrir la presque totalité de son oeuvre. Il fallut cette carte blanche récemment offerte par le musée du Louvre à Patrice Chéreau, et son choix d’en faire l’opportunité d’un flash-back en forme de bilan sur l’ensemble de sa carrière pour que le cas de La Nuit… fasse l’objet d’un nouvel examen.
Il faut savoir déchiffrer les signes du destin. Dans le film Persécution (2009), Romain Duris incarnait pour Patrice Chéreau un personnage qu’on pourrait considérer sous bien des égards comme le frère de celui proposé par Koltès dans La Nuit…
Et Duris acteur de cinéma n’avait qu’une envie, se faire initier au théâtre par Chéreau. Alors, entre la tentation du repentir de l’un et le désir de l’autre de vivre enfin son baptême du feu théâtral, il n’y avait plus à tergiverser.
A contrario de la poétique du no man’s land qui habille le plus souvent les mots de Koltès, Patrice Chéreau choisit de cadrer le texte avec une précision chirurgicale, dans la lumière des néons du réel glaçant d’une salle des urgences déserte. Au sol, le carré d’un triste lino blanc où s’étale le désordre de quelques effets personnels.
Sur son lit d’hôpital, notre héros plutôt mal en point a le visage en sang et le front à moitié couvert par un pansement. Pour Koltès, il s’agit d’un homme qui « tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul ». Pour Chéreau, qui sait qu’au théâtre il n’existe d’autre hors champ que le public, l’adresse à cet inconnu n’a de sens que si elle cible chacun des spectateurs.
Ainsi c’est avec nous, public, que durant ce seul en scène Romain Duris se doit d’engager son premier bras de fer d’acteur. Et celui que l’on nous présente misérable, tel un animal blessé acculé dans les derniers retranchements du bout de sa nuit, se transforme alors sous nos yeux en un fabuleux torero.
Seigneur dans son arène, il nous balade dans les images de ses mots, nous fait voir rouge et nous fait rire, crapahute sur son lit sans nous lâcher des yeux pour planter ses banderilles et porter au final sous nos applaudissements l’estocade qui fait de nous la bête. Le rappel qu’au théâtre celui qui doit mourir n’est jamais celui qui salue.
Patrick Sourd
La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mise en scène Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, trente-deux représentations exceptionnelles à partir du 19 janvier au Théâtre de l’Atelier, Paris XVIIIe, www.theatre-atelier.com
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