Deux vibrantes introspections exemptes de concession pour voyager d’un hall en chantier dans la périphérie à la chambre d’un hôtel de luxe à Hong Kong.
Oser le grand écart entre les générations pour mettre en lumière des destinées situées aux antipodes dans la pyramide des âges. Avec Perdre son sac et Ranger, le projet de l’auteur et metteur en scène Pascal Rambert se présente comme un diptyque qui ne dit pas son nom. Voici donc deux monologues qui peuvent être vus séparément, mais résonnent d’une saveur rare si on les enchaîne en une soirée. Deux textes taillés pour coller à la peau d’interprètes qui semblent ne faire qu’un avec leur personnage.
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Dans Perdre son sac, Lyna Khoudri a la silhouette d’une adolescente à peine sortie de l’enfance. L’actrice est ce qu’on nomme une jeune pousse du cinéma au début de carrière fulgurant… Elle fut récompensée dès son premier long métrage du César du meilleur espoir féminin en 2020 pour son rôle dans Papicha (2019) de Mounia Meddour.
Témoigner des enfermements d’une existence
Dans Ranger, Jacques Weber est de ceux qu’on ne présente plus. On s’abandonne au bonheur de retrouver un monstre sacré de la scène en se laissant porter par sa voix au timbre inimitable. Chevelure et barbe blanche, son corps d’ogre impressionne d’autant plus qu’il se revendique du charme des séducteurs dans l’habit noir de son costume trois pièces.
Cadrée par la toile bleue d’une bâche de chantier accrochée dans les cintres, la jeune femme porte une salopette de travail et dispose de l’espace de jeu minimal d’un carré de bois blanc. Un seau de ménage à ses pieds, elle s’arme d’un balai essoreur et débonde sa révolte d’être une technicienne de surface avec un bac plus cinq. Pour résumer le pétage de plomb à l’œuvre dans Perdre son sac, il est tentant d’imaginer une version longue du titre en forme de résumé du propos, soit ; Perdre son sang froid et vider son sac pour témoigner des enfermements d’une existence sans perspective d’avenir.
Le jour du premier anniversaire du décès de celle qui fut la femme de sa vie, c’est dans la chambre immaculée d’un hôtel avec vue sur la baie de Hong Kong que l’acteur rembobine un parcours d’universitaire comblé. Saisi dans la lumière aveuglante qu’on prête aux expériences de mort imminente, l’acteur avoue son désir de tirer l’échelle, le monde n’ayant plus de sens sans la présence de son amour perdu.
Avec un art consommé de l’ellipse et le désir de sonder la profondeur des âmes sans romantisme, Pascal Rambert réunit deux versants d’une même désespérance de vivre pour explorer les tourments de la jeunesse et les renoncements de l’âge. Deux monologues bouleversants qui aimantent le regard avec une grande délicatesse.
Ranger, texte et mise en scène Pascal Rambert avec Jacques Weber, du 2 au 18 février, Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. En tournée jusqu’au 13 avril.
Perdre son sac, texte et mise en scène Pascal Rambert avec Lyna Khoudri, du 7 au 18 février, Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris.
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