Questionnant l’histoire du XXe siècle à l’aune de notre présent, Architecture est une ode aux acteurs témoignant de deux mondes finissant dans les éclats d’ombres d’une pièce aux allures de pur diamant noir.
Adossée à la haute muraille de la Cour d’honneur qui lui sert d’écrin, Architecture de Pascal Rambert semble puiser sa forme théâtrale à l’agencement de cette paroi où bien avant que les architectes ne se questionnent sur l’image à donner du dehors, ouvrir des fenêtres sur le monde ne se concevait qu’en fonction des espaces intérieurs. S’accordant au désordre des ouvertures du palais des papes, Pascal Rambert écrit une pièce chorale uniquement régie par les urgences intimes de ses personnages. Un palais idéal où collectionner des bouffées d’affect suffit à prendre date. Architecture raconte l’histoire d’une famille viennoise, des années 1900 à son effondrement avec l’annexion de l’Autriche à la suite de l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933.
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La distribution des rôles dans ce clan dysfonctionnel annonce des affrontements entre géants de la scène. Tous sont sous l’emprise du patriarche, Jacques (Weber), qui, depuis la mort de sa femme, est en couple avec Marie-Sophie (Ferdane) qui pourrait être sa fille. Audrey (Bonnet) est mariée à Denis (Podalydès), Anne (Brochet) à Laurent (Poitrenaux), Emmanuelle (Béart) à Arthur (Nauzyciel), tandis que Stan (Nordey) demeure solitaire depuis la mort de celui qu’il aimait. Chaque rôle est désigné par le prénom de celle ou celui qui l’incarne, et Pascal Rambert se garde bien de démêler le vrai du faux, entre ce qui correspond à un portrait de son interprète ou à une vérité induite par la vie de son personnage.
Ainsi le récit se trouble d’une splendide ambiguïté qui ramène sans cesse au présent des corps sur le plateau. Dans un temps où l’on constate que l’histoire bégaie, témoigner de l’effritement du XXe siècle se fabrique alors en toute transparence avec ce qui se joue ici au troisième millénaire. Tous font preuve d’un engagement formidable et le poème dramatique de Pascal Rambert fonctionne à merveille par le fait même qu’il a sans cesse ces deux fers au feu.
Voilà donc un étrange cauchemar qui se partage entre hier et aujourd’hui. L’onirisme étant la règle, on ne s’étonne pas d’assister dans un silence suspendu au tour de force d’un simple chat traversant le plateau, pas plus qu’au vacarme venu des gradins d’un cheval qui entre sur scène après avoir perdu son cavalier. Vision d’un temps de guerre qui succède à une époque de paix, le barouf de l’équidé qui vient ici pour s’effondrer répond alors au moment de grâce du félin qui ne faisait que passer.
La danse de mort finale est à prendre comme un avertissement, une ultime et magnifique alerte pour se préparer à des temps redoutés auxquels on n’aurait jamais pensé. Incontournable.
Architecture texte, mise en scène et installation Pascal Rambert. Avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey et Denis Podalydès de la Comédie française en alternance avec Pascal Rénéric, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber. Jusqu’au 13 juillet, Festival d’Avignon, Cour d’honneur du palais des papes.
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