Conçu en concertation avec celle qui a vécu le drame de l’enlèvement et de la disparition de ses enfants, “Je crois que dehors c’est le printemps” de Gaia Saitta est un indéfectible appel aux lendemains qui chantent.
Incroyable, la force de vie que génère l’amour. C’est sans doute ce qui a frappé l’actrice Gaia Saitta et le metteur en scène Giorgio Barberio Corsetti qui l’a accompagnée dans ce projet lorsqu’elle a voulu faire entendre la voix d’Irina Lucidi et la tragédie qu’elle a traversée.
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On pourrait parler d’un fait divers ou d’un cold case : mariée en Suisse et mère de deux petites filles, Irina voit son monde s’effondrer le jour où son époux disparaît avec ses enfants. Lui sera retrouvé mort, suicidé, quelques jours plus tard en Italie, d’où elle est originaire. Ses filles n’ont jamais été retrouvées. Le couple s’était séparé après quelques années d’un harcèlement conjugal sur lequel Irina a d’abord du mal à mettre des mots. Peut-on être victime de violence à coups de post-it collés partout dans la maison listant ce qu’elle a à faire, comment et dans quel ordre ? Comment faire son deuil lorsque les corps de ses enfants ne sont jamais retrouvés ? Et au bout du compte, peut-on aimer à nouveau, sans se laisser démonter par la culpabilité, comme si le chagrin était une peine incompressible ou un châtiment éternel ?
Un partage du sensible
La réponse est oui. L’être humain crée des liens, les défait parfois ou les rompt. Ou alors, c’est la mort qui s’en charge, mais toujours, la vie en génère de nouveaux. Ainsi se tisse la parole d’Irina à travers la voix de Gaia Saitta et le faisceau de visages des spectateur·rices filmé·es parmi le public, à qui l’actrice demande avant le début du spectacle s’ils et elles acceptent de monter sur scène pour figurer, par leur simple présence silencieuse, les personnages de son récit. Un portrait kaléidoscopique de ce partage du sensible invoqué par Jacques Rancière à travers lequel toute la salle participe à l’empathie, à l’écoute et au partage d’émotions suscité par son récit.
Enfin, au-delà du fait divers, l’histoire d’Irina apparaît aussi pour ce qu’elle est : la répétition d’un drame familial, la mise à jour d’un traumatisme transgénérationnel et le rappel, qu’en italien, oubli et mémoire ont chacun leur place dans le corps. “Oublier. Se souvenir. En italien on dit dimenticare et ricordare. Les étymologies de ces mots sont mente, tête, et cuore, cœur. Quand tu oublies, tu dimentichi. Tu fais sortir de ta tête. Quand tu te souviens, tu ricordi. Tu ramènes à ton cœur.“ Au théâtre, l’un ne va pas sans l’autre, tête et cœur réconciliés, vivants et morts partageant le même espace de représentation.
Je crois que dehors c’est le printemps, de Concita de Gregorio, adaptation et interprétation Gaia Saitta, mise en scène Gaia Saitta et Giorgio Barberio Corsetti. Jusqu’au 15 octobre au théâtre du Rond-Point, Paris. Du 23 au 25 janvier, au théâtre Joliette de Marseille, du 6 au 10 février, au TNB de Rennes.
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