Un an après #MeToo, l’édition 2018 de Paris Photo consacre un parcours aux photographes femmes et inaugure un nouveau secteur dédié cette année à la photographie érotique. Sur les stands également, la tonalité est à la célébration des identités plurielles et réversibles. Focus sur quatre artistes clés de cette édition.
A peine aura-t-on eu le temps de se remettre de nos émotions esthétiques que c’est reparti. Après la FIAC fin octobre, voici Paris Photo et ce mois qu’on a coutume d’appeler le mois de la photo. Jusqu’à dimanche soir, la verrière du Grand Palais accueillera ses quelques 196 exposants venus de 38 pays. Visiter une foire de photographie, et a plus forte raison une doyenne comme Paris Photo, c’est toujours se réjouir d’avance de réviser ses classique. De voir en vrai les tirages aperçus au détour d’une reproduction. De se délecter de retrouver, année après année et comme de vieux compagnons de route et de rêve, dont éternels Robert Frank, Daido Moriyama ou André Kertesz.
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Si l’on avait parfois pu avoir l’impression d’une foire figée dans l’admiration de ses maîtres, l’édition 2018 balaye ces préjugés. Et frappe fort : avant même de mettre le pied à l’intérieur des arcanes du Grand Palais, il y ce visuel choisi pour les affiches et la communication. Une photo de Mickalene Thomas, soit l’immense artiste afro-américaine célébrée pour ses représentations du corps féminin noir – nous y reviendrons. Le visuel n’est pas uniquement symbolique. Une fois immergé dans le labyrinthe des stands, une série de pastilles indique un parcours à suivre. Dédié aux femmes photographes, « Elles x Paris Photo » a été pensé par la commissaire Fannie Escoulen dans le cadre d’une collaboration avec le ministère de la culture.
A noter également, l’inauguration d’un nouveau secteur, le secteur Curiosa dédié à l’érotisme, qui intègre désormais le parcours du secteur principal, de l’édition, des films et du secteur Prismes où sont présentées des œuvres grand format. A Paris Photo, la flânerie et la dérive finissent certes souvent par l’emporter. Il n’empêche, pour préparer la visite ou en amplifier la résonance, focus sur cinq artistes clés et autant de tendances de cette 22e édition. En terme de contenu et de portée symbolique, elle est peut-être la plus réussi à ce jour.
Mickalene Thomas
En juillet 2018, Rihanna faisait la couverture du Vogue Paris. L’une des trois couvertures était shootée par Juergen Teller (présent à Paris Photo sur le stand de la galerie Susanne Tarasiève). Riri s’y prélassait dans un décor d’intérieur typiquement 70s, où les tapisseries flower-power rivalisaient avec les accessoires oversize. Plusieurs photos se juxtaposaient selon une technique de collage, rajoutant à l’effet maximaliste. L’icône Rihanna irradiait d’une majesté nonchalante. Seulement voilà, internet veille au grain. Quelques jours après la sortie de la série, Twitter accusait le photographe de plagiat.
Car cette formule, la représentation de la femme afro-américaine dans un décor domestique, le collage des textures et la palette 70s, Mickalene Thomas la développe depuis presque vingt ans. Née en 1971 aux Etats-Unis et basée à Brooklyn, Mickalene Thomas n’a jamais voulu choisir entre peinture et photographie : elle mène les deux de front. Son sujet, lui, ne bouge pas d’un iota : représenter la femme afro-américaine, sa beauté, sa sexualité et son pouvoir. Celle-ci est replacée dans un contexte domestique chargé, où s’efface la distinction entre premier et second plan, sujet et décor, réel et imaginaire. Chez elles, les parures, les ornements et les accessoires jouent un rôle crucial : ils permettent, de jouer avec les codes identitaires plutôt que de se les laisser prescrire.
La photo Calder Series #2 l’illustre. Visuel de Paris Photo 2018, l’œuvre s’inscrit dans un ensemble d’œuvres de l’artiste présentée sur la foire par la galerie Nathalie Obadia. Dans cette photographie, le sujet principal, une jeune femme noire arbore un maquillage inspiré de l’artiste Alexander Calder et s’amuse avec des formes rappelant ses mobiles. Plus loin, une pile de livres traitant de l’émancipation du peuple afro-américain (Introduction to African Arts ; The Autobiography of Malcolm X ; Roots, d’Alex Haley) indique qu’une autre histoire que celle représentée par Calder, artiste du canon blanc, mâle et moderniste est en cours d’écriture.
Ulay
Inévitablement, Ulay restera toujours lié à Marina Abramovic. De 1976 à 1978, il réalise avec celle qui est à l’époque sa compagne ses performances les plus connues. Mais Ulay ne commence ni ne finit avec Marina Abramovic. Autour du corpus de performances en duo, il y a les siennes. Né Frank Uwe Laysiepen en 1943 en Allemagne, Ulay est photographe de formation. Si la performances est également au cœur de son travail, elle est surtout une étape qui l’amène à produire des photographies et des vidéos. Plutôt que l’espace et le temps, données centrales aux performances qu’il réalise avec Marina Abramovic, le corps et la mise en scène de soi alimentent ses œuvres solo.
Au début des années 1970, il expérimente avec la création d’identités nouvelles, mi-femme mi-homme, entièrement l’un ou l’autre, ou encore page vierge lorsque son visage s’estompe progressivement sous les couches de maquillage blanc. Au début de l’année, la série White Mask (1973) était présenté dans le cadre de l’exposition DRAG à la Hayward Gallery. Alors que le drag, cette pratique consistant à performer les codes du genre, connaît un grand intérêt chez les jeunes artistes, Ulay s’impose sur le tard comme l’un des pionniers de cet « art de soi ». La galerie Richard Saltoun présente les six polaroïd de White Mask ainsi qu’une vidéo et d’autres œuvres photographiques de l’artiste, dont un tirage monumental, Death of a Transvestite (1973/2017), où l’on voit de dos une paire jambes filiformes avec une arme nonchalamment glissée dans la paire de bas.
Ari Marcopoulos
Il a collaboré avec Matthew Barney, Jay Z, Richard Prince ou les Beastie Boys. Normal qu’on se l’arrache : Ari Marcopoulos est cool et l’a été pendant longtemps. Né en 1957 à Amsterdam, il débarque à New York en 1979 et s’imposera comme l’un des grands observateurs des contre-cultures américaines. S’il prend la vague du skate et du punk au bon moment, il cisèlera au fil des années une approche intime de chacun de ses sujets. Sous les carapaces de l’identification à tel ou tel groupe, sous les codes d’appartenance, Ari Marcopoulos retrouve l’être fragile et hésitant, féroce et fier, et capture le spectre de toutes les nuances complexes de ses sujets : de jeunes hommes, invariablement, qui s’adonnent à des sports extrêmes dans la rue ou bien se perdent dans les volutes de fumées de leur chambre en rêvant au prochain hit qu’ils composeront.
A la rentrée l’an passé, la galerie parisienne Frank Elbaz lui consacrait un solo-show, Machine. Chaotique et ultra-bruyant, ses portraits avaient l’énergie brute de la rue, et affichaient leur insolence sur fond de soundtrack noise. A Paris Photo, l’accrochage solo que lui dédie sa galerie se fait cette fois plus immersif. Un jeune homme noir en maillot de basket est figé au milieu des stands de supermarché. Il semble perdu dans ses pensée, mais en réalité, l’image provient d’une capture d’écran de caméra de surveillance. Le curseur pointé sur lui à l’image semble indiquer qu’il est l’objet d’une investigation : vrai larcin ou simple check de routine comme doivent en endurer tant les minorités visibles ? Imprimée sur papier et fixée telle quelle, l’atmosphère de bureau de police se prolonge plus loin avec un tableau sur lequel sont punaisé des scan de dents, bijoux et autres artefacts qui, réunis ensemble, semblent témoigner d’une investigation en cours.
Paul Mpagi Sepuya
Cette année, la photographie érotique bénéficie carrément d’un espace d’exposition supplémentaire : Curiosa. Inauguré cette année et placé sous le commissariat de Martha Kirszenbaum, le secteur accueillera désormais chaque année une exposition consacrée à une thématique photographique particulière. Cette année, quatorze galeries présentent chacune un solo ou un duo d’artistes dont les images abordent certes le corps fantasmé et célébré, mais également sa fétichisation par le prismes des rapports de race, de genre, de domination et de pouvoir. Entre les photomontages d’Edouard Taufenbach, les entrelacs flous d’Antoine d’Agata, la gourmandise féministe de Natalia LL ou encore les jeux de l’amour et du harsard des poupées gonflables de Renate Bertlmann, Paul Mpagi Sepuya était l’une des découvertes de l’année.
Né en 1982, l’américain Paul Mpagi Sepuya explore les relations d’intimité troubles qui se créent dans l’enceinte du studio photographique. Tout chez lui repose sur un subtil jeu de mise en abyme, où le regardeur devient regardé et le photographe sujet. Ces ballets des corps, mettant en scène l’artiste ou ses amis, une communauté de jeunes gens queer afro-américains, ne nous parviennent à travers des corps fragmentés qui se dérobent à la vue autant qu’ils excitent la pulsion voyeuriste. Présenté au MoMA à New York dans le cadre de l’exposition New Photography au printemps dernier, Paul Mpagi Sepuya prolonge la tradition d’artistes travaillant autour de la visibilité (ou de l’invisibilité) des corps racisés. Il le fait cependant en infiltrant les circuits de l’imagerie de mode et de l’image la plus vernaculaire qui soit, l’autoportrait appareil photo à la main, à l’image de son Darkroom Mirror (_2060194), (2018).
Paris Photo, du 8 au 11 novembre au Grand Palais à Paris.
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