La Fondation LUMA accueille dans ses murs un résident quelque peu singulier. Le pantin animatronique de Jordan Wolfson y résidera jusqu’au 24 octobre avant déménager au Stedelijk Museum d’Amsterdam à l’occasion d’une grande exposition consacrée à l’artiste.
Chevelure rousse, tache de rousseur, habits en haillons, le pantin robotisé de Jordan Wolfson ressemble au garçon trouble des Aventures de Tom Sawyer de Mark Twain – Huckleberry Finn le « juvénile paria du village ». Ce rouquin n’est autre que la silhouette archétypale du héros picaresque de la culture populaire américaine. Figure atemporelle et malléable, on le retrouve autant dans les traits de la marionnette Howdy Doody de l’émission télévisée éponyme, que dans le portrait d’Alfred E. Newman, la mascotte du fanzine MAD. Que l’on ait ou non ces références à l’esprit, et aussi lointaines et inconscientes soient-elles, le garçon animatronique de Jordan Wolfson est d’une familiarité troublante. Son nom, Colored Sculpture, laconique, mais éloquent, sonne comme un rappel à l’ordre : bien qu’animée, cette créature n’est qu’une sculpture.
Se réapproprier la culture de divertissement
Jordan Wolfson, admirateur de l’œuvre de Jeff Koons, utilise les technologies les plus sophistiquées. Creepy et provocative seraient les mots clés les plus associés à ses oeuvres et à son entreprise de réappropriation de la culture de divertissement. Le coût de production de sa première création animatronique, (Female Figure), s’élevait à un demi-million de dollars. Le spectateur se retrouvait face à face avec une stripteaseuse au faciès de sorcière, au travers d’un miroir sans tain. Pour Colored Sculpture aucun rempart, si ce n’est une barre de sécurité. La figure articulée est suspendue par de lourdes chaînes à une grande structure métallique dotée de trois moteurs programmés. Le pantin est soulevé dans les airs pour mieux être à cogné à terre de manière répétée. Équipé d’un système de reconnaissance faciale, il voltige et se fait violenter tout en soutenant le regard du spectateur avec un sourire teigneux.
La scène de torture dure 20 minutes et apparait encore plus cruelle lorsque démarre le slow langoureux de Percy Sledge, When a Man Loves a Woman. La chanson s’arrête pour laisser place à une voix qui énonce une liste d’actions ambiguës : « 4 – to leave you; 5 – to touch you; 6 – to move you; 7 – to ice you; 8 to put my teeth in you; 9 to put my hand on you; 10 – to put my hand in your hair ». Ces yeux projettent à cet instant des vidéos et photos, miroirs des désirs d’une société de consommation. La danse du pantin reprend et la scène se répète indéfiniment.
Jordan Wolfson maîtrise incontestablement l’art de la catharsis. Et si avec lui s’allonge la liste des artistes qui font se tourner autour entertainement et art et qui se jouent de la distinction entre animation foraine et œuvre d’art, sa Coloured Sculpture renoue avec la dimension magique prêtée à l’art depuis l’antiquité : l’artiste serait à même de créer un être animé. Prouesse technologique, Colored Sculpture est dotée de la capacité de se mouvoir, mais surtout d’un regard, « miroir de l’âme ». Sa violence, elle, opère un retournement remarquable. Le spectateur reste figé, sur place, face à la sculpture qui s’anime. Autrement troublante est la façon dont l’artiste se décharge de toute analyse de son œuvre : « Je délaisse toute responsabilité pour l’interprétation que vous pourriez en avoir. » Ce qui étonne, ce n’est pas le fait qu’il n’apporte aucun propos qui en guiderait l’interprétation, mais l’emploi du terme « responsabilité » qui suggère aussi bien l’engagement moral que la culpabilité. Culpabilité que nous pouvons éprouver lorsque, spectateurs passifs, nous regardons contemplatifs, ce pantin à la figure bien connue se faire torturer. Guilty or not Guilty…
Mathilde Urfalino
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