La 9e édition de la Bourse Révélations Emerige réunit douze jeunes artistes au sein d’une exposition parisienne qui diffracte autant de points de vue sur un présent techno-sensible.
Une ruelle à la somnolence paisible du 15e arrondissement de Paris donne sur une petite cour arborée sans histoires. Autrefois, elle abritait un garage ; aujourd’hui, ce sont les avatars qu’on y répare. Derrière un mince pan de tissu noir, ils sont là, sur une table chirurgicale, en position fœtale. Peut-être rêvent-ils à des futurs meilleurs ou du moins, à un ailleurs, délestés de ces entraves terrestres qui les arriment à la grisaille ordinaire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Contemplez la lutte interminable, la tentative d’affirmer qu’au-delà du monde, nous avons tous le même corps en nous“, lit-on ainsi sous l’une des trois vidéos 3D qui composent l’ensemble d’œuvres de Valentin Ranger, intitulé Vers le Meta Hospital (2022).
Douze artistes, loin du métavers
Son installation, à laquelle répond encore d’autres œuvres venant heurter de cyber-échappées l’architecture laissée brute, figure parmi celles des douze artistes sélectionné·es au sein de la 9e édition de la Bourse Révélations Emerige. Avec eux et elles, il partage, sinon un langage, un certain nombre de caractéristiques. Et en premier lieu, le générationnel : comme règle du jeu, le prix se destine aux jeunes artistes de moins de 35 ans basé·es en France.
Du Prix Fondation d’Entreprise Ricard au Prix Marcel Duchamp, chacun traque une tendance, creuse un filon, tente de faire souffler le vent. Avec Douze preuves d’Amour, le titre de la Bourse Emerige, décision a été prise de ne pas s’y plier : on y verra autant de positionnements individuels, pareillement élus et néanmoins incommensurables. Un autre point de vue, complémentaire aux nombreuses expositions de prix de la rentrée.
Futurs sensibles, présents moirés
Certes, on y retrouve les écoles ou tendances en place : la sempiternelle peinture néo-surréaliste (toujours onirique), la sculpture assemblant les rebuts post-industriels pour bricoler, lorgner vers autant d’archéologies du futur (forcément contaminées).
Ce qui s’en distingue concerne une attention partagée, évidente mais davantage présente au cours de la décennie précédente, aux futurs augmentés, post-humains ou simplement trop humains. La technologie donc, marronnier de la génération post-Internet, s’ancre ici plus près du corporel, du subjectif, d’un collectif que les artistes tentent malgré tout de maintenir. A l’instar, par exemple, des peintures à l’huile ultraréalistes d’Abdelhak Benallou.
Ici, la main, le geste, l’expressivité s’effacent : chaque série de portraits semble avoir eu recours au regard biométrique de la machine et à la luminosité rétroéclairée d’un écran de veille. Ainsi 20 secondes décline en quatre toiles autant d’éclairages sur un même visage, pose frontale et comme offert à l’identification. Chez Gillian Bret, l’humanité résistant à une capture totale de l’intérieur, même de ses appareils de mesure, se montrerait davantage au niveau du regard que porte l’artiste elle-même.
De l’amour, de l’humour et des kebabs
A une fascination paralysante postapocalyptique, celle-ci oppose un humour doucement corrosif : certes, les écrans LCD hors fonction baignent telle une flaque d’essence au sein d’une rocaille d’hydrocarbures écocide. Mais plus loin, les composantes électroniques se font broches de kebab (Smart food : better for you and the planet #Gyros) moquant les délires survivalistes ultra-testostéronés, tandis qu’au sein des mêmes écrans défectueux, on se prend à traquer les étoiles et les lueurs de l’aube, d’une aube (la série After Hubble).
Et si le plan accidenté tel un sol terraformé d’une planète lointaine se prête aux imaginaires diffractés des artistes, cela provient peut-être, ainsi que l’explique le commissaire de l’exposition Gaël Charbau, de ces espaces finalement proches des ateliers d’artistes. Une manière, à l’échelle de l’espace, de laisser sourdre malgré tout ces quelques grammes d’une sensibilité moirée, qui palpite vive sous nos instruments de mesure, de classification et d’identification, à condition de savoir regarder.
{"type":"Banniere-Basse"}