Le Ballet de l’Opéra de Paris fait entrer “Les applaudissements ne se mangent pas” à son répertoire. Nous nous sommes glissés Palais Garnier le temps des dernières répétitions.
“Je suis le bourreau et je suis la victime.” Dans ce grand studio sous les toits du Palais Garnier, Ennio Sammarco reprend un mouvement avec les deux distributions de danseurs choisis pour cette entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Il donne le plus d’explications possibles aux interprètes qui doivent mémoriser les douze séquences de la pièce tout en gardant en mémoire le contexte. En 2002 à sa création, Maguy Marin avait en tête les révoltes populaires d’Amérique latine contre les pouvoirs autoritaires.
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“Il m’apparaît indispensable pour cette pièce d’explorer à travers des possibilités spatiales et corporelles, les situations inextricables, les stratégies de pouvoir et les rapports de force qui régissent le fonctionnement des êtres humains”, résume la chorégraphe.
Ennio Sammarco qui était de la création et en assure aujourd’hui en partie la reprise se souvient d’un sentiment de “tensions fortes. Ce n’est pas nouveau quand on travaille avec Maguy. Mais là, c’est une approche qui nous mettait à fleur de peau”. Surtout, à un mois de la première, Maguy Marin se rend compte que cela ne va pas. “Il y a eu une “explosion et nous avons tout remis à plat. Il n’est resté que les relations entre les corps.”
Rapports de force
Et c’est cela Les applaudissements ne se mangent pas : une danse viscérale, de croisements et de heurts. Une danse en révolte. “Maguy cherche ici les rapports de force. Il doit y avoir deux moments tendres dans toute la pièce”, constate Laurence Laffon, sujet du ballet embarquée dans cette aventure. “Néanmoins, il y a un certain type de virtuosité que développe Maguy Marin même si cela ne doit pas ressembler à de la danse”, ajoute Vincent Chaillet, premier danseur de l’Opéra de Paris.
Des marches, des chocs, des chutes, des portés, des glissades. Les applaudissements ne se mangent pas est un piège magnifique. Quant au décor, un rideau à franges de couleur, il cache les entrées et sorties des interprètes, rendant encore un peu plus difficile l’exécution.
Désapprendre à danser
Faut-il dès lors désapprendre quelque chose d’inné à ces danseurs de formation classique mais déjà familiers du contemporain ? Ennio Sammarco sourit à notre question. “Le temps me manque pour cela. Mais ils sont curieux par rapport à quelque chose qui n’est pas dans leur académisme. Ils sont assez volontaires.” Les premières répétitions se déroulent sans la partition – une création bruitiste de Denis Mariotte , fidèle compagnon de route de Maguy Marin. “Pour l’instant on fait avec un métronome et des décomptes en 5 temps.”
“Il y a une pulsation qui est nécessaire. La masse d’informations à gérer comme par exemple les emplacements est énorme”, réagit Laurence Laffon. Sous nos yeux, Ennio Sammarco montre comme chuter ou affronter l’autre. Le tout dans un laps de temps compté. “Au niveau de la mémoire – et il en faut pour se souvenir de toutes ces entrées, ces sorties – les danseurs de l’Opéra sont des machines de guerre. Après, il faut apprendre à être ensemble sur le plateau”, explique Ennio Sammarco. Qui apprécie le calme ambiant.
“Huit danseurs – huit êtres humains – joueront des états de tensions pour essayer d’en dégager ce qui contribue, de la complexité à l’indifférence, à nous faire croire que tel est le destin du monde, un monde où la réussite de quelques-uns fait face à ‘l’impuissance’ de plusieurs milliards d’autres”, écrivait Maguy Marin en 2002.
Elle est allée puiser notamment dans l’essai d’Eduardo Galéano, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine. De Christophe Colomb aux révolutions paysannes, du FMI aux marches populaires, ce spectacle “rêche, porteur d’une violence sous-jacente” ne laisse jamais indifférent. Il renvoie également à l’actualité plus récente des indignés espagnols, des grecs en lutte, voire à la Nuit Debout parisienne.
Alors, la pièce de Maguy Marin, présence incongrue dans les ors et velours du Palais Garnier ? “C’est justement le moment pour qu’une institution comme l’Opéra s’ouvre à d’autres formes à travers l’image qu’elle donne, du public qu’elle touche. Cela va dans le sens de la porosité”, constate Ennio Sammarco sur place.
Maguy elle-même n’est pas une inconnue à l’Opéra où elle chorégraphia Leçons de ténèbres à la demande de Rudolf Noureev en 1987. Benjamin Millepied a voulu l’inviter à nouveau – tout comme il a convié Boris Charmatz ou Jérôme Bel à sa saison. Son brusque départ n’est pas forcément un signe d’ouverture, hélas.
Le premier service de répétitions s’achève. Un filage se profile. Sur la structure détaillée que Maguy Marin a élaborée – soit autant de feuilles que de passages dont Ennio Sammarco se sert en attendant l ‘arrivée de la chorégraphe – on peut lire : “C’est simple. Voilà. Pas compliqué!” Tout est dit. Il ne nous reste plus qu’à goûter ces Applaudissements.
Les applaudissements ne se mangent pas, conception Maguy Marin, entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Palais Garnier du 25 avril au 3 mai ( 08 92 89 90 90)
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