Avec Hard to Be Soft – A Belfast Prayer, Oona Doherty ose une ode à sa ville. Rencontre avec une jeune chorégraphe qui se sent “chanceuse et un peu merdeuse aussi”.
Tout a commencé par un rendez-vous raté à Dublin. Oona Doherty a oublié notre rendez-vous. “Je ne suis pas encore une chorégraphe très professionnelle”, s’amuse-t-elle quelques heures plus tard. Il va pourtant lui falloir apprendre très vite. Du Dublin Dance Festival aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis ou à la Biennale de la danse de Lyon, la liste de ses soutiens ne cesse de s’allonger. “Je me sens chanceuse et un peu merdeuse aussi. Est-ce que je mérite tout cela ? Il y a de quoi flipper non ? J’ai seulement fait deux pièces.”
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Oona Doherty a ce franc-parler qui s’accorde à son accent, celui de Belfast. Elle a étudié la danse à la London Contemporary Dance School, puis au conservatoire Laban de Londres. “Je me suis fait virer de ma première école. Cela m’a fait comprendre à quel point j’aimais la danse et la pratiquer.” Au Laban, elle fait la connaissance du professeur et chorégraphe David Waring. “Sans doute le meilleur enseignant rencontré. Il disait que le public voulait voir des gens sûrs d’eux perdre pied. C’est tout ce que j’ai retenu.”
Tenir les lignes à distance
Depuis, Doherty s’applique à tenir les lignes à distance. La danseuse a croisé le parcours de la chorégraphe Emma Martin, du dramaturge Enda Walsh ou de T.r.a.s.h., compagnie hollandaise repérée par ici. Pas question pour l’Irlandaise de reproduire le style des uns ou des autres. Elle a trouvé sa voie qui est aussi celle de la rue, Belfast. Depuis Hope Hunt & the Ascension into Lazarus, un solo, elle lance son corps dans la bataille. “Je dois cela à Ryan O’Neill, il m’a appris à tomber en scène. Mais je ne suis pas encore à son niveau.”
O’Neill a créé Hard to Be Soft – A Belfast Prayer il y a un an avec Oona Doherty puis est parti à Hong-Kong pour le show Punchdrunk. “Les garçons dans la danse ont toujours plus de propositions.” Doherty a continué sans lui mais toujours avec ce groupe d’adolescentes Ajendance Youth Dance Company sur scène. “Je les appelle mes sugars. Elles sont si mignonnes.”
Hard to Be Soft – A Belfast Prayer se compose de quatre chapitres. Oona ouvre et ferme la pièce. Tout n’est pas d’égale puissance. La faute peut-être au manque de répétitions. Pour la troisième séquence, un duel oppose John Scott, chorégraphe basé à Dublin, et Bryan Quinn. “Je voulais raconter quelque chose sur les pères irlandais qui montrent assez peu d’affection. Je n’ai réalisé qu’après que la scène pouvait être personnelle. Mon père et mon frère ne se parlent plus.” On voit sur le plateau les deux interprètes dans un échange sur la corde, entre séduction et rejet. “Avant la représentation de Dublin, j’ai dit une chose aux danseurs : fermez les yeux et pensez à quelqu’un qui ne pourra pas être là ce soir. Et dansez pour lui.”
Fan de Wolfgang Tillmans et Kate Tempest
Au moment de sa première création, Hope Hunt, Oona Doherty avait l’intention de travailler avec des prisonniers. Le temps lui a manqué. “Je me retrouve dans de jolis théâtres à la place.” Elle voit le monde des arts comme “incestueux”, replié sur lui-même. Et veut faire sortir la danse dans la rue – ou faire entrer la rue dans les théâtres. Ses modèles, si elle en a, sont à chercher du côté des arts visuels ou de la poésie. Elle cite Wolfgang Tillmans ou Kate Tempest. Du photographe allemand, elle dit : “On a l’impression que chaque image est précédée d’un mouvement.” Quant à l’écrivaine anglaise, Oona Doherty aime tout : sa musique, ses mots. Brand New Ancients, recueil de poésie publié en 2013, tout particulièrement.
Dans les spectacles de Doherty, les insultes se mêlent aux voix d’anges dans un raccourci vertigineux. Son Lazarus en témoigne. Hard to Be Soft… la voit entrer dans la peau d’une petite frappe, mimant la provocation. “J’ai toujours été fascinée par le jeu des clowns.” On sent chez Oona Doherty le bouillonnement d’une révolte. “Belfast n’est qu’à deux heures de Dublin. Mais c’est un autre monde. Il n’y a pas de mariage gay, pas de référendum possible sur le droit à l’avortement. La religion influe encore trop sur les affaires de l’Etat.” En attendant, Oona Doherty fait de sa danse un combat. Philippe Noisette
Hard to Be Soft – A Belfast Prayer Les 9 et 10 juin, L’Embarcadère, Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis ; les 19 et 20 septembre, Biennale de la Danse de Lyon
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