Tout le bien que l’on pense du nouveau spectacle de la plasticienne belge Miet Warlop.
La feuille de route de One Song de Miet Warlop se résume à une seule alerte, une seule obsession : faire spectacle de la reprise en boucle d’une chanson au refrain explicite, “Sauve qui peut avant que tu crèves, avant que je crève, avant qu’on crève tous. Toc, toc, toc, qui est là ?” Deus ex machina transformant la représentation en voyage au bout de l’enfer, un simple métronome, posé à l’avant-scène, impose son tempo effréné à la pièce. La proposition, qui hybride les ambiances hystériques d’une rencontre sportive à celles d’un concert punk, a fait l’événement au Festival d’Avignon.
Tout se passe dans le décor d’un gymnase. Les présences drolatiques d’un pom-pom boy désœuvré, d’une commentatrice inaudible et d’un public chauffé à blanc donnent un avant-goût réaliste à la situation proposée par la plasticienne et chorégraphe flamande. Avec l’arrivée des musicien·nes-performers aux tenues sportives, affublé·es des dossards, ça bascule dans le jeu de massacre délirant… Miet Warlop ayant attribué un agrès à chacun·e, elle transforme le concert en véritable parcours du combattant.
Parcours du combattant
Ainsi, le chanteur doit courir sur un tapis roulant pour rester à bonne distance du micro. Le pianiste saute sur un tremplin pour atteindre le clavier accroché en haut d’un espalier. Le batteur sprinte entre les éléments de sa batterie pour tenir la mesure. Et, tandis que le contrebassiste fait des abdos avec son instrument posé sur le ventre, la violoniste enchaîne les exercices à la poutre tout en interprétant sa partition. Les protagonistes se livrent corps et âme à l’épreuve de cette chanson interprétée jusqu’à perdre haleine. Le show fonctionne à marche forcée sur un épuisement dont nous sommes les voyeurs et voyeuses. Débordé·e par le déluge sonore et affolé·e par l’engagement physique, on passe du rire à l’effarement face à une performance qui fascine et nous absorbe avec l’énergie dévastatrice d’un trou noir.
Épinglant une société où l’art qui déplace les foules se réduit à la culture du sport-spectacle, l’artiste ne ménage pas nos nerfs pour faire entendre son SOS. One Song évoque, en version no future, la manière dont Sydney Pollack dénonçait les marathons de danse des années 1930 dans son film On achève bien les chevaux (1969). L’Histoire bégaye et l’on rend grâce à Miet Warlop pour ce geste, où son humour cruel se charge de l’élégance du désespoir pour réveiller les consciences.
Édito initialement paru dans la newsletter théâtre du 20 septembre
One Song de Miet Warlop les 20 et 21 septembre, La Criée – Théâtre national de Marseille, dans le cadre du festival Actoral. Les 28 et 29 septembre, Hippodrome, Douai. En tournée en 2023.