Eric Lacascade aborde Tchekhov par le biais du cirque et cible les désordres de l’amour en regard de notre mépris pour les catastrophes écologiques. Politique, drôle et tragique.
Qu’est-il arrivé à la très romantique balançoire qui, selon les vœux d’Anton Tchekhov, se doit de figurer dans le décor afin d’illustrer les plaisirs futiles de l’été russe lors du premier acte d’Oncle Vania ? Avec ses allures de pont suspendu relié aux cintres par des câbles, la voici transfigurée en une de ces poutres qui servent habituellement à porter les projecteurs. Presque méconnaissable dans cette version XXL, notre balançoire s’avère un barrage incontournable qui occupe la largeur du plateau, une incongruité en lévitation à un mètre au dessus du sol.
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C’est l’heure de l’apéro et l’objet hors norme tente de se faire oublier en jouant les comptoirs de bar où l’on peut dresser les amuse-gueule, aligner les coupes et les bouteilles de champagne avant qu’une comédienne n’y grimpe pour en faire sa tribune dans un numéro d’équilibriste digne du cirque. Dès ce premier fil tiré, Eric Lacascade affirme sa volonté de briser le réalisme de la “petite musique tchékhovienne” en imposant à ses comédiens des attitudes outrées et des comportements démonstratifs inspirés par les gestuelles des clowns de la piste.
Voici donc notre classique du répertoire apte à créer le trouble chez les spectateurs dans une version revue et corrigée qui multiplie les références aux gags visuels chers aux Marx Brothers. L’univers décalé de cet hommage au comique de situations n’ayant d’autre but que de faire entendre, hors du pathos psychologique, la moderne limpidité d’un texte qui rutile dans la traduction de Françoise Morvan et André Markowicz.
Tchekhov, précurseur de l’écologie
Des scènes de groupe aux dialogues intimes, le parti pris fonctionne de bout en bout et Eric Lacascade trouve le ton juste pour enfoncer le clou des préoccupations politiques de son auteur, et nous rappeler que nos engagements pour l’écologie ne sont pas le fait d’une inquiétude née au XXe siècle.
Car, bien avant que les Verts ne deviennent un parti, la volonté de préserver les arbres, la nature et la faune sauvage faisait déjà partie des combats engagés par les personnages de Tchekhov en l’année 1887. Personne ne prétend réduire Tchekhov à l’inventeur du tri sélectif…
Avec sa troupe d’acteurs formidables, Eric Lacascade sait aussi nous parler d’amour en se rangeant du côté de ceux que la passion consume mais qui sont condamnés à ne pouvoir en jouir. L’idée que lutter pour un monde meilleur implique alors de se remonter les manches… Même quand les situations semblent désespérées, qu’il s’agisse d’amour ou de politique.
Oncle Vania d’après Oncle Vania et L’Homme des bois d’Anton Tchekhov adaptation et mise en scène Eric Lacascade.
Théâtre national de Bretagne à Rennes jusqu’au 1er mars, Tel :02 99 31 12 31. www.t-n-b.fr,
Théâtre de la Ville à Paris du 5 au 22 mars. www.theatredelaville.com
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