En quelques créations décapantes, le danseur et chorégraphe Olivier Dubois a renouvelé l’univers de la danse française. Lundi 15 avril, il a été nommé à la direction du Centre chorégraphique national de Roubaix et du Nord-Pas de Calais. Portrait d’un artiste sensible et impitoyable.
On avait quitté Olivier Dubois le printemps dernier en pleine répétition de Tragédie, pièce monstre. En cet hiver parisien, à l’occasion d’une nouvelle rencontre, on essaie de déceler ce qui a changé en lui. La réponse viendra au cours de l’entretien. “Le soir de la première de Tragédie au Festival d’Avignon, j’ai réalisé que j’avais 40 ans. Comme un éclair de lucidité dans cette course en avant faite de créations. Il y avait quelque chose d’apaisé en moi.” Le fait que Tragédie ait transporté le public n’a sans doute qu’ajouté à cet état.
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Un danseur capable de tout
Olivier Dubois est sur les scènes depuis un paquet d’années : interprète remarqué chez Angelin Preljocaj, Jan Fabre ou Sasha Waltz d’abord, “des chorégraphes aux univers différents”. Avec sa silhouette enrobée et une virtuosité à part, Dubois le soliste se détachait du lot. Le genre de danseur capable de tout. Il dit qu’il s’est mis en scène par accident : depuis, il n’a cessé d’enchaîner les créations. Des solos comme Under Cover (1999) à celui de la reconnaissance, Pour tout l’or du monde (2006). “Pour moi, cela consistait plus à affirmer quelque chose qui me compose qu’à élaborer un plan de carrière. J’ai énormément dansé pour les autres. J’ai eu peur d’une frustration.”
Devenir auteur-chorégraphe lui permet “d’être un autre, de prendre [sa] place sans être dans la copie”. Mais pour lui, le terme même de chorégraphe est réducteur :
“Je crois au théâtre en mouvement. Je ne suis pas un chercheur de pas qui passe des heures dans un studio. Je charge la création à venir de matière théâtrale, de musiques, de lectures, puis je choisis mes danseurs. J’aime travailler sur le temps, sur l’espace. J’ai un peu tendance à écraser mes collaborateurs sous les informations. De là va naître l’intensité du mouvement. En répétition, je ne dis pas : on doit faire comme ça. Ça doit rester instinctif. Voilà pourquoi je ne me sens pas encore chorégraphe.”
Quand on a vu ses pièces Révolution, Tragédie ou Spectre, commande des Ballets de Monte-Carlo, il y a de quoi en douter. Plus que jamais, Olivier Dubois affirme une maîtrise du plateau, un instinct du geste. Il n’a pas peur de se confronter à la masse. Tragédie réunit ainsi dix-huit interprètes, une folie à l’heure où l’économie des compagnies indépendantes et de certains Centres chorégraphiques nationaux (CCN) peu dotés imposent des petites formes.
« Je suis tourné vers les rencontres.”
Surtout, il y a un souffle Dubois, qui en fait le chorégraphe que tous les danseurs veulent approcher : pour ses dernières auditions, il a reçu 1300 CV, de France et d’ailleurs. “Je pourrais dire que c’est trop, mais d’une certaine façon c’est réconfortant, comme une sorte de filiation en train de se faire…” Il s’occupe de tous les dossiers reçus, répond à chacun. Il est fidèle, aime travailler avec les mêmes personnes. Pourtant, on décèle en lui un côté solitaire qui ne se reconnaît pas tout à fait dans les petits mondes de la danse. “J’ai la sensation de n’appartenir à aucune famille mais je me verrais bien en père de famille.” Comprendre : un artiste qui se retrouve dans les générations futures, danseurs ou chorégraphes. “Et puis, je ne suis pas attaché à une esthétique, je suis tourné vers les rencontres.”
Olivier Dubois a ainsi donné ses versions du Faune, créé sur les chansons de Sinatra ou mis en transe une vingtaine de femmes sur le Boléro de Ravel. Des spectacles sans liens évidents entre eux, si ce n’est une musicalité, et encore. “Je ne veux pas faire le commentaire de l’époque mais m’inscrire dans un rapport au vivant.” Il parle “d’attitude mordante” sans que l’on comprenne exactement le sens de cette jolie expression. Pas grave, il est déjà passé à autre chose. Ce que l’on entend en revanche, c’est son audace, sa curiosité, une certaine forme d’ambition également. “Son franc-parler peut être interprété comme de l’arrogance, résume José Manuel Gonçalvès, le directeur du CentQuatre où Dubois est artiste en résidence. Mais c’est une liberté.”
« Je me sens proche de la famille de celle qui n’en a pas. »
Par-dessus tout, Olivier Dubois est à un moment de sa carrière où tout bascule. Tragédie a joué le rôle de détonateur. Les tournées à venir vont l’emmener dans le monde entier. Un lieu de référence comme le Sadler’s Wells à Londres le programmera en 2014. “J’ai effectivement rencontré des responsables de théâtres qui me disaient : la danse française ne m’intéresse pas.” Trop minimaliste, trop nombriliste ? “Lorsque vous arrivez avec une troupe de dix-huit danseurs, cela répond à des attentes artistiques et, disons-le, économiques.” Certaines salles veulent du nombre, du puissant. Le succès de chorégraphes comme Hofesh Shechter ou Dave Saint-Pierre colle à cette logique. Des créations percutantes qui laissent le spectateur cloué sur son siège. “Et où ce dernier est très concerné. Une danse qui est symptomatique de notre époque : le temps des insurrections, de la survie.” Mais c’est le nom de Maguy Marin qui s’échappe du panthéon chorégraphique d’Olivier. “En fait, je me sens proche de la famille de celle qui n’en a pas.”
La volonté d’Olivier Dubois de se poser est en partie liée à ce besoin d’une maison. Il a été retenu dans la short list des candidats à la reprise du CCN Roubaix (avec Pierre Rigal et Christian Rizzo). “Je suis bien meilleur à accueillir qu’à être accueilli”, lâche-t-il en souriant. Son projet, qu’il affine encore, pose les bases d’un centre chorégraphique moderne, “outil de partage, de bouillonnement, un pôle culturel. Un lieu où l’on n’a pas peur de son voisin créateur”. Car de Lille à Villeneuved’Ascq, le Nord est riche en institutions culturelles. Cette maison, c’est enfin pour Olivier Dubois un espace pour l’apprentissage, la transmission.
“Je vais depuis un an et demi au Caire sur les “ruines” de l’École nationale de danse. J’apporte ce que je peux. J’aime le travail de la chorégraphe Lia Rodrigues qui est installée dans une favela à Rio. Ce compagnonnage avec de jeunes danseurs est une chance. En cela, le CCN de Roubaix, avec son école, est l’idéal.”
Une multitude de projets
Le garçon vif qu’il est devra prendre son mal en patience jusqu’en mars pour connaître le choix des élus locaux et du ministère*. En attendant, il a de quoi s’occuper : une commande du Ballet national de Marseille pour laquelle Dubois promet de faire “disparaître les danseurs”. Et Souls, création pour des solistes africains. Sa “curiosité dévorante” devrait être rassasiée : “J’ai fait une rencontre quasi mystique avec Germaine Acogny à l’École des sables de Dakar, qu’elle dirige. En découle ce spectacle, Souls, pour sept danseurs de sept pays d’Afrique. Évidemment, je m’interroge sur ce paradoxe du chorégraphe blanc qui vient travailler avec des danseurs africains. Je veux accepter cette réalité en essayant de mettre des grains pour que la machine – la mienne – se grippe.” Souls sera créé au Caire en décembre prochain.
On lui avoue que son énergie toujours intacte nous trouble. Sa réponse fuse : “Si je ne suis pas comme cela, je meurs. Je ne suis pas si fort. Il me faut toujours courir comme si le temps m’était compté…” On l’aura compris : Olivier Dubois est déjà ailleurs.
Philippe Noisette
Révolution les 23 et 25 avril à Cergy
*Olivier Dubois nommé à la direction du Centre chorégraphique national de Roubaix et du Nord-Pas de Calais.
Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a annoncé le 15 avril la nomination du chorégraphe Olivier Dubois à la direction du Centre chorégraphique national de Roubaix et du Nord-Pas de Calais. Actuellement artiste associé au CentQuatre, il prendra ses fonctions au 1er janvier 2014. La ministre a également salué la « très grande qualité des projets présentés par Pierre Rigal et Christian Rizzo, également finalistes dans cette candidature ».
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