Dans son deuxième one-woman show, l’humoriste règle son compte à son milieu d’origine : les bobos, persuadés, entre autres, que le racisme “est un truc de droite”.
Sur le plateau du Grand Journal, l’ambiance est tendue. Un mois après les attentats de janvier, la discussion s’articule autour du thème “l’humour en danger ?”, avec le dessinateur de presse algérien Dilem et deux femmes censées représenter des points de vue antagonistes : Caroline Fourest et Océanerosemarie.
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A la fin de l’émission, cette dernière tente d’aborder le sujet de la liberté d’expression en tant qu’humoriste. Elle mentionne le cas du polémiste Dieudonné, mis en examen pour apologie du terrorisme après avoir affirmé sur sa page qu’il se sentait “Charlie Coulibaly”. “Il est venu chercher cette limite en disant ‘vous (Charlie Hebdo – ndlr), c’est de l’humour, et nous, c’est de l’apologie du terrorisme’. Ce n’était pas inintéressant”, affirme-t-elle. A l’autre bout de la table, Caroline Fourest s’apprête à réagir, mais l’émission prend fin sans qu’on relance le débat. La simple évocation de Dieudonné déclenche l’ire de certains, qui interpellent aussitôt Océanerosemarie sur Twitter.
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“Je pense que j’ai fait une erreur de le mentionner, je m’en suis rendu compte après, sur les réseaux sociaux”, nous explique-t-elle. “Je veux bien être attaquée sur mes idées et parce qu’on n’est pas d’accord avec moi, mais je ne veux pas être attaquée sur quelque chose que je n’ai jamais dit. Qu’on sous-entende que je défends Dieudonné, ça m’est insupportable. Je l’ai trouvé odieux, parce qu’il l’est, mais son ‘Je suis Charlie Coulibaly’ était une provocation qui posait la question de la limite de la liberté d’expression.”
Poser des questions, discuter, lancer des débats qui dérangent, Océanerosemarie le fait deux soirs par semaine à la Comédie des Boulevards à Paris. Dans cette salle d’une centaine de places, l’humoriste de 37 ans joue, à guichets fermés, son deuxième spectacle intitulé Chatons violents. Le titre fait référence aux deux félins qu’elle a adoptés avec sa copine et qui leur rendent parfois la vie impossible, mais il reflète également le caractère bien trempé de la comique. “Ça lui correspond vraiment bien”, explique l’acteur Mikaël Chirinian, qui a mis en scène ce nouveau one-woman show. Elle a quelque chose d’à la fois très combatif, militant, parfois même énervé, mêlé à une vraie douceur. C’est la force de son spectacle : s’attaquer à des sujets sérieux, mais avec beaucoup de tendresse.”
Dans Chatons violents, Océanerosemarie se moque de ceux qu’elle appelle les “BBB”, les “bons blancs bobos”, persuadés que “le racisme est un truc de droite”. L’humoriste fait son autocritique et présente le milieu dans lequel elle a vécu, née d’une mère qui fait du “conseil en gestion des ressources humaines” quand elle ne publie pas des livres, et d’un père qui travaillait dans la musique (il a créé le Bureau export de la musique française). “Je dis toujours que je n’ai pas mon passeport banlieue”, ironise celle qui a grandi à Paris dans le IIe arrondissement, et qui circule à vélo depuis qu’on lui a “tiré” son scooter.
Pour elle, les BBB “s’approprient la parole des minorités avec une certaine suffisance”. Dans un de ses sketches, elle se met en scène en “bobo blanche” qui prend la défense de son épicier maghrébin face aux attaques de ses voisins, mais qui le traite comme un sous-fifre ignare, en lui assurant qu’elle le “paiera plus tard”, comme si elle était au-dessus de tout soupçon de vol.
La saynète a plu à son amie Rokhaya Diallo, fondatrice de l’association antiraciste Les Indivisibles. Elle critique depuis longtemps les slogans comme “Touche pas à mon pote” de SOS Racisme, qu’elle considère comme “choquants” car incarnant la privation de la parole des minorités. Amies depuis cinq ans, elles s’envoient des articles de journaux par mail et échangent sur des sujets allant de l’antiracisme au port du voile jusqu’à la défense des droits des prostituées. “Océanerosemarie est curieuse, on parle beaucoup. Même en n’étant pas initialement portées sur les mêmes combats, on s’est trouvé de nombreux points communs”, raconte Diallo.
Les premiers combats de l’humoriste portent sur la défense des droits LGBT. Elle considère les débats sur le pacs en 1998 comme son “premier élan militant”, bien qu’elle ne l’ait pas vécu comme telà ce moment-là. “J’étais trop jeune, je vivais dans mon milieu de BBB où rien ne paraissait très grave, il n’y avait pas vraiment de problèmes”, analyse-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas de remarquer “qu’aucun gay n’est invité” sur les plateaux de télévision, à la différence des “prêtres, psychiatres et hommes politiques”.
A croire que l’histoire se répète, cette fois pour l’accession à la PMA pour les couples de lesbiennes. Océanerosemarie, qui s’était engagée en 2012 pour soutenir la candidature de François Hollande, n’hésite pas à se présenter comme une déçue du Président, dès l’ouverture de son spectacle. L’humoriste est amère : “Tu dis ‘il faut voter Hollande, on va pouvoir faire des enfants’, et puis tu te le prends bien profond. Dans la trinité républicaine, il y a ‘égalité’… Moi, je suis une femme en France qui n’a pas les mêmes droits que les autres femmes.”
L’humoriste, qui a sorti deux albums sous le pseudonyme Oshen dans les années 2000 avant de se consacrer à sa carrière de stand-up, est d’autant plus déçue qu’elle jouit d’une grande notoriété au sein de la communauté LGBT, depuis son premier spectacle, La Lesbienne invisible, en 2009. Un succès d’abord confidentiel, qui s’est peu à peu étendu au grand public et a permis à l’humoriste d’enregistrer un DVD et de décliner le concept en bande dessinée. Aujourd’hui, elle travaille sur un premier long métrage, sorte de suite de La Lesbienne invisible, dans lequel elle tiendrait le premier rôle. Elle a débauché Cyprien Vial, jeune réalisateur qui vient de signer son premier film, Bébé tigre. Celui qui se décrit comme un “fan de la première heure” de l’humoriste n’a pas hésité une seule seconde : “Je rêvais secrètement de mieux la connaître. Ce qui m’intéresse depuis le début, c’est le fait qu’elle soit une bête de scène. C’est quelqu’un qui déménage, une fille d’action, un remède contre l’ennui. Elle est ‘too much’, mais d’une façon extrêmement sincère.” Reste à financer le projet. “Le cinéma, c’est très long… Mais bon, vu que le personnage principal est une jeune trentenaire, ce serait bien de le tourner avant la ménopause, quand même !”, conclut Océanerosemarie en riant.
Chatons violents jusqu’au 27 juin, Comédie des Boulevards, Paris IIe
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