Au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris, une quarantaine d’artistes femmes ou non binaires participent à la biennale Nova_XX fondée il y a six ans. Déclinée en une exposition, des performances et des projections, l’édition 2024 s’intitule “Plurivers & Contingence” et entretisse technologie, art et science. Sans prétention car résolument DIY.
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Le Centre Wallonie-Bruxelles (CWB), c’est avant tout une présence. Chacun·e l’interprétera différemment : cela pourrait être l’indice d’un désordre, mais aussi l’annonce d’une perturbation ou peut-être encore le présage d’un bouleversement. Évidemment, il faut y voir tout cela à la fois. La biennale Nova_XX a désormais pris ses quartiers dans le centre d’art, et c’est à partir de ses murs qu’elle se prépare à faire souffler un avis de tempête sur la capitale – ondes du cyberespace compris.
De quoi s’agit-il plus précisément ? Tout d’abord, d’une occasion rêvée pour s’en aller découvrir le grand chamboulement qu’a connu le lieu d’exposition du Centre Wallonie-Bruxelles. Celui-ci fait face au Centre Pompidou et toise la vénérable institution de l’autre côté de la célèbre piazza parisienne. L’espace dédié aux artistes ayant élu la Belgique comme base opératoire rouvrait enfin ses portes en octobre 2023 après un an de travaux.
Stéphanie Pécourt, sa directrice depuis 2019, insuffle au lieu son irrévérence, attentive à une jeune création qui ne s’embarrasse d’aucun cadre. Ni dieux, ni maîtres, ni disciplines, et surtout pas de frontières. “Bienvenue en vaisseau offshore pirate, bienvenue en vaisseau belge !” Dès le seuil, celle-ci annonce la couleur : “Ici, nous ne sommes pas dans un lieu de prescription ou de conservation. Notre rôle n’est certainement pas d’édicter de manière magistrale ce que serait le beau, le noble ou le bon goût.”
Ce que l’on découvre après travaux, c’est un cube de béton laissé brut. Ici, tout pourrait arriver. L’espace, qui a été radicalement décloisonné, ouvre sur l’extérieur de la piazza et se prolonge vers une cour proposée elle aussi comme terrain de jeu aux artistes. La biennale tombe à pic : avec son thème des ”plurivers”, elle est l’occasion idéale pour investir les 1000 m2 du lieu en repoussant les limites de la perception humaine. Ou, pour reprendre les mots de la directrice du CWB : “Nouveaux espaces, nouveaux sens, nouveaux réflexes, nouvelle odeur !”
Des exoplanètes et des bestioles électroniques
Il y a bel et bien une pièce olfactive parmi les quarante-et-unes propositions artistiques qui composent la quatrième édition de la biennale internationale Nova_XX. Organisée du 16 février au 27 avril, l’édition 2024 de cette manifestation dédiée à l’intrication artistique, scientifique et technologique déclinée au féminin et au non-binaire de cette ligne de force du présent. Avec un parti pris implicite : pour sauver le monde 4.0 de ses menaces extractivistes et de ses imaginaires asséchants, il faut d’abord casser ses monopoles normatifs.
La biennale se décline en trois parties : une exposition, des films d’artistes, des performances, live et DJ-sets, sans oublier la partie accessible depuis le site du Centre Wallonie-Bruxelles – notamment son podcast. Nova_XX a réuni les artistes, chercheur·ses, cinéastes et musicien·nes de la proposition à la suite d’un appel à candidatures, qui a résulté en un geste parlant : ont été retenues des personnes s’identifiant comme femmes ou non binaires, la plupart issues de la création émergente, mais sans cependant fétichiser un âge donné.
Dès la porte d’entrée franchie, un ensemble de planètes nous fait face. L’artiste Félicie d’Estienne d’Orves, complice de longue date du Centre, a choisi de réaliser un ensemble d’impressions en dégradés de couleurs sur fond blanc. On y voit de simples sphères, et déjà l’imagination prend le relai. Doucement moirées et infiniment dégradées, les œuvres de la série Light DNA extrapolent les signatures spectrales d’exoplanètes dont la ressemblance à la Terre est grande, sans pour autant être exacte.
Passé ce seuil, les choses s’accélèrent, et la biennale spécule sur l’inconnu. Déjà, ça clignote, ça bipe et ça glitche en tons néons. Au plafond, en effet, place à un autre imaginaire : les étoiles s’allient aux câbles, le céleste se tisse aux circuits électroniques. L’artiste et hackeur·se Marylou est venu·e dédoubler le plafond d’une canopée de “bestioles”, une installation interactive où chaque élément est la reconstruction artificielle (mais sans anthropomorphisme) d’un insecte ou d’un oiseau en voie de disparition.
La méduse comme déesse-totem
“Nous avons voulu faire retour au côté DIY du numérique plutôt qu’au côté léché de la technologie tel qu’on le voit trop souvent et qui tend à en être aujourd’hui l’aspect dominant”, indique Stéphanie Pécourt à propos de cette biennale appelée à “vivre et vibrer”. Pas de capitalisme de surveillance donc, ni de regard de surplomb, et encore moins d’imaginaire de la conquête : voilà peut-être ce que produit une attention à la création qui émane d’artistes s’étant désidentifié·es de la masculinité normative.
Dans la salle principale, on rentre dans le touffu de l’exposition. La proposition est généreuse, proliférante même. Tous les médiums stimulent l’intégralité de la palette sensorielle. Il y a des installations techno-cinétique (Lou Fauroux), des vidéos crypto-cryogéniques (Gala Hernández López), des prosopopées post-humaines d’une Intelligence Artificielle affabulatrice (Sara Dufour & Claire Malrieux pour SpeakBlue) ou des fossiles microbiens qui désormais nous toisent dans l’espace (Sarah Sandler pour Sisters).
Également, comme ligne de force, un certain nombre d’œuvres à la matérialité organique, à l’instar du corps collectif constitué par l’échange entre des champignons et mycéliums et des vêtements (Ève Gabriel Chabanon) ou de l’écosystème-performance d’un “blobarium”, forme de vie que la fiction aura canonisée comme extraterrestre (Louise Charlier). Or, pour la même interlocutrice, les artistes, précisément, sont bel et bien placé·es dans la position de “l’intercesseur·e et non de la démiurge”, manière d’indiquer leur position entre deux mondes, l’organique, l’électronique, les flux d’énergie et les ondes de fiction.
Tout passe, transite, et parfois, si l’on se laisse traverser, se transforme. En réalité, cette mutation nous était déjà indiquée dès l’affiche de la biennale : une tête de méduse de la mythologie grecque. Symbole d’une créature puissante que les âmes chagrines jugent monstrueuse, cette chimère mi-humaine, mi-animale possède le pouvoir de changer la chair en pierre : une alchimie fatale et féministe que connaissent bien les artistes, eux et elles qui transforment pareillement la matière.
Biennale Nova XX 2024, “Plurivers & Contingence”, jusqu’au 27 avril au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris
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