Misant sur la présence des acteurs, Christophe Honoré s’immerge avec brio dans le mouvement littéraire le plus marquant des années 1950
« La marquise sortit à cinq heures. » Selon Paul Valéry, cette phrase discrédite définitivement le roman classique. Quand à l’aube des années 1950, Nathalie Sarraute déclare que « le roman ne croit plus à ses personnages, le lecteur non plus », elle confirme à son tour cette mort du roman balzacien que Valéry puis les surréalistes avaient affirmé haut et fort.
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Dans la mise en scène parfois inégale, mais pleine de charme et nourrie d’intuitions stimulantes que Christophe Honoré consacre au Nouveau Roman, Nathalie Sarraute a les traits de Ludivine Sagnier. Tout comme les autres acteurs – tous impeccables – de ce spectacle, elle n’incarne pas un personnage, mais existe par elle-même. Le Nouveau Roman ce sont d’abord des personnalités irréductibles qui n’entendent pas se glisser dans un moule. Honoré montre bien la difficulté qu’éprouve Alain Robbe-Grillet, le plus emblématique sans doute de ces auteurs, à enrôler ses camarades sous une bannière commune.
Le plateau ouvert décoré dans le style des années 1950 avec des écrans de télévision, une tribune, des micros, des tables et des chaises dispersées expose ces écrivains assumant leurs contradictions à la fois proches et éloignés les uns des autres – des électrons libres. Ce qui les rassemble, c’est d’abord Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit. L’origine du spectacle est d’ailleurs la célèbre photo prise en 1959 sur le perron des éditions de Minuit où manquent Michel Butor et Marguerite Duras. Présent sur la photo en revanche, Samuel Beckett n’est joué par aucun acteur sur scène – une façon de souligner sa position d’outsider, mais aussi sa situation paradoxale tant Lindon ne cesse de se référer à lui. Il se souvient notamment comment lisant jusqu’au bout le manuscrit de Molloy dans le métro, il s’est surpris à la fin à « rire comme un imbécile ».
Il y a à la fois une forme de joie et d’ingénuité dans ce spectacle qui présente en quelque sorte l’instantané d’une époque sans tomber dans le piège de la reconstitution, mais au contraire en la réinventant sur un mode ludique avec un zeste d’humour. Témoin cette scène amusante où l’on incendie quelques auteurs contemporains dans un brasero, avec la question : faut-il brûler Sartre ? Ou encore cette tribune ouverte où le public est convié à poser des questions aux auteurs.
Christophe Honoré ouvrant ainsi l’espace de jeu à l’ensemble de la salle pour un surprenant exercice collectif d’improvisation. Les premières tensions apparaissent quand Michel Butor reçoit le Renaudot en 1957 avec La Modification. Bientôt le Nouveau Roman s’intéresse au cinéma dans la foulée de la Nouvelle Vague quand Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet passent notamment derrière la caméra. Enfin, le spectacle est ponctué d’interventions enregistrées d’auteurs contemporains. Philippe Sollers se souvient que le Nouveau Roman représentait à l’époque « une lueur dans la grisaille ». Denis Cooper dit sa préférence pour Robert Pinget. Charles Dantzig s’égare voyant dans le Nouveau Roman « le parti de l’étranger ». À l’arrivée, ce spectacle sans doute un peu trop long (3 heures 45), parce qu’il veut tout dire et aller jusqu’au bout de chaque biographie, s’avère une aventure théâtrale d’une rare fraîcheur, drôle, intelligent et pétillant de vie.
Hugues Le Tanneur
Nouveau Roman de et par Christophe Honoré
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