S’inspirant des séries américaines, Cyril Teste exalte la sensualité du théâtre de l’Allemand Falk Richter et relaie sa dénonciation des pratiques qui font du salarié une simple variable d’ajustement.
Effet aquarium garanti… Nobody de Cyril Teste se déroule derrière de larges baies vitrées se déployant sur la longueur du plateau. Avec cette invitation à nous faire passer une soirée en apnée, le metteur en scène focalise notre attention sur l’observation dans ce bocal d’un banc de bébés requins s’initiant à l’apprentissage des règles propres à l’évaluation des individus dans le cadre d’une entreprise de consulting international.
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Auteur d’un théâtre se réclamant du politique, le dramaturge allemand Falk Richter décrypte les mécanismes du système capitaliste en s’immergeant dans la vie des humains rompus à l’exercice de courber le dos à son service. Sélectionnant plusieurs de ses pièces (Sous la glace, Electronic City, Le Système et Ivresse), Cyril Teste puise dans ces textes pour extraire le scénario original de Nobody à la manière d’un cut-up, en offrant à nos regards la salle de réunion et l’open space où ce petit monde s’entredéchire…
Paysage en vase clos
Le dispositif de cette performance filmée en direct nous livre en simultané les vues larges du théâtre comme celles d’un paysage en vase clos à contempler et les plans serrés de la vidéo pour suivre les intrigues de couloir et les amours inévitables qui agitent les eaux troubles de ce phalanstère dévoyé à la cause des actionnaires de la finance mondialisée.
Il convient alors de se reporter à l’écran surplombant le plateau pour que notre attention soit attirée sur le feutré d’une prise de bec, la perversité d’une humiliation ou le dérapage d’un débordement hormonal. L’esthétique maîtrisée de ce portrait de groupe à focale variable justifie le soin apporté au choix glamour des costumes des garçons, à celui du sexy exempt d’ostentation des robes des filles. Un souci du détail qui va jusqu’à cadrer la manière de nouer une cravate ou celle d’arborer un rouge à lèvres assassin.
Cauchemars individuels
Dignes de la réécriture d’une œuvre de Kafka par les plumes expertes des scénaristes de la chaîne HBO, les vies sans but de ces rouages humains pour qui le glas du burn-out sonne dès la trentaine inquiètent autant qu’elles fascinent. La mise en lumière du caractère générationnel de cet asservissement est un des points forts de cette performance brillamment incarnée par un collectif d’acteurs ayant entre 25 et 30 ans. On rend grâce à leur talent, à leur aptitude à condenser tant de cauchemars individuels. A la manière d’un frisson glacé parcourant l’échine, le signal d’alerte de cet électrochoc soft restera pour longtemps en nos mémoires. Patrick Sourd
Nobody d’après Falk Richter, mise en scène Cyril Teste/Collectif MxM, avec le collectif d’acteurs La Carte blanche, jusqu’au 21 novembre au Monfort Théâtre, Paris XVe, lemonfort.fr. En tournée jusqu’en février 2016
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