Alors que l’effet boule de neige de l’occupation des théâtres à Paris et partout en France prend de l’ampleur, Nicolas Dubourg, président du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) et directeur du théâtre La Vignette de l’université de Montpellier, réagit aux nouvelles mesures annoncées par le gouvernement le 11 mars pour soutenir la culture. Il appelle en outre à une mobilisation le week-end du 20 mars.
Avez-vous participé à la rencontre du 11 mars avec les organisations syndicales du secteur culturel, le Premier ministre Jean Castex et la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot ?
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Nicolas Dubourg – Comme je n’y étais pas convié, j’ai écrit à la conseillère de Jean Castex, Florence Philbert, afin de faire part de mon étonnement. Elle m’a répondu que cette rencontre ne concernait que les syndicats de salariés. Or, on avait déjà eu deux rendez-vous avec le Premier ministre à Matignon, en tant que représentants de lieux, et, à l’époque, les syndicats de salariés n’avaient pas été conviés et s’en étaient émus. La réponse avait alors consisté à leur dire : on parle de la question de la réouverture, des protocoles, de l’équilibre financier des maisons. En gros, ça ne vous regarde pas. De fait, aucun de ces points-là n’a été abordé le 11 mars. Les seules questions du jour étaient plutôt relatives à l’emploi, même si l’annonce sur les 20 millions d’euros d’aides supplémentaires pour la culture va aussi concerner des équipes artistiques, c’est-à-dire des entreprises… qui n’étaient pas conviées. 50 % des adhérents du Syndeac sont des équipes artistiques et sont concernés par cette annonce. Leur technique, c’est toujours de nous réunir à des moments différents pour nous dire la même chose.
Par contre, le 12 mars, j’ai eu une réunion avec Sophie-Justine Lieber (la directrice de cabinet de Roselyne Bachelot), Hélène Amblès (sa conseillère en charge de la création, du spectacle vivant et des festivals), ainsi que Marie Francolin (la directrice adjointe de cabinet, en charge du Covid-19 auprès du ministre de la santéà, ce qui était une première. Sophie-Justine Lieber nous a annoncé que le travail en interministériel s’accélérait actuellement pour essayer d’aboutir à un protocole simplifié. En janvier, le ministère avait parlé d’un protocole en cinq étapes : d’abord la phase zéro, soit la phase actuelle, où les théâtres ne sont ouverts qu’aux professionnels. La phase 1 est l’ouverture aux scolaires, la phase 2, 25 % de jauge ouverte au public, la phase 3, 50 %, la phase 4, 75 % et la phase 5, 100 %. A présent, on nous parle de trois étapes qui s’échelonneront à trois ou quatre semaines d’intervalle pour passer de 33 % à 75 %, puis à 100 % de remplissage des salles de spectacle.
Mais quand on demande une date pour passer le premier cap, on n’a aucune réponse. Quid du couvre-feu à 18 heures ? Quid de la différenciation territoriale ? Ce n’est pas non plus la même chose si vous êtes dans le secteur privé ou public, on n’a pas le même rapport au remplissage des salles. S’agissant du secteur public, on a donc redit qu’on était prêts à ouvrir à condition d’avoir des aides, mais qu’il nous semblait fondamental de rouvrir les théâtres. On a juste eu confirmation que les festivals de l’été auront lieu. Ce à quoi on a répondu que, dans ce cas, leur protocole doit s’enclencher au moins six semaines en amont. Ils nous disent y travailler en nous rappelant que la situation sanitaire est loin d’être positive, surtout en Ile-de-France.
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Comment réagissez-vous à la déclaration de Roselyne Bachelot qui juge l’occupation des théâtres “inutile” et “dangereuse” ?
La posture de ce gouvernement est très étonnante. Jusqu’au 19 janvier, on était plutôt satisfaits du dialogue, dans la mesure où il y avait régulièrement des réunions au cours desquelles on posait les sujets sur la table et, une fois l’analyse partagée, des réponses étaient apportées. Pas toujours satisfaisantes, mais il y avait la fameuse clause de revoyure qui nous permettait d’espérer que, face à une mauvaise analyse, il y aurait un jour une bonne réponse. Le 19 janvier, après l’annonce du protocole en cinq points sur la question de la réouverture, on est rentré dans la phase : plus d’image, plus de son, et ce pendant quasiment deux mois. C’est proprement hallucinant. Avec d’autres syndicats, on a interpellé le gouvernement le 17 février avec une déclaration pour la réouverture de tous les établissements culturels recevant du public, signée par l’Association des régions de France, tous les présidents de régions, les maires et présidents des métropoles des plus grandes villes de France, en demandant au gouvernement de mettre en place ce protocole. On n’a eu aucune réponse. Le 4 mars, à la suite de cette manifestation à laquelle nous étions associés, la CGT a décidé de mettre en place sa modalité d’action : l’occupation de théâtres.
C’était une surprise pour vous ?
On n’était pas du tout informés. Mais lorsque la ministre de la Culture s’offusque aujourd’hui de l’occupation des théâtres, ce qui m’étonne surtout, c’est qu’elle ne l’ait pas anticipé. C’est ça qui est fou. Le nombre de courriers qu’on a envoyés à ce gouvernement et qui sont restés lettres mortes… On ne peut pas laisser dans un état d’ignorance absolu le seul secteur fermé depuis quasiment un an. Ils ne se permettraient jamais ça avec le secteur aéronautique ou avec l’industrie. Comment peuvent-ils nous mépriser à ce point-là ? Roselyne Bachelot a beau jeu de trouver la réponse du corps social trop forte. En tant que pharmacienne et ancienne ministre de la santé, elle sait très bien que quand le stimulus est puissant, la réponse du patient est forte. A moins qu’il ne soit totalement mort, le fait qu’il y ait une réponse immunitaire est plutôt bon signe….
Nous, on propose autre chose : le week-end du 20 mars, on appelle à organiser des assemblées générales où seront conviés des élus, des responsables de lieux, des intermittents, des artistes et le public. L’idée est de venir débattre, échanger sur la situation du secteur. On va inscrire sur toutes les devantures des théâtres une citation que Roselyne Bachelot avait volée à Pablo Neruda : “Le printemps est inexorable”, en dessous de laquelle on va écrire : “Feu vert pour la culture”, en français mais aussi en anglais (“#greenlightforculture”), car c’est un mouvement européen et cette problématique de fermeture des lieux de culture nous est commune. Elle témoigne du fait que la puissance publique se désengage massivement de la politique culturelle. Notre revendication traverse l’Europe et est porteuse d’une vision politique.
Comment considérez-vous cette occupation des théâtres ?
On est un syndicat d’employeurs et notre métier, c’est de faire fonctionner des théâtres. Nous les occupons donc par notre activité en permanence et ce sur quoi on se bat en ce moment, c’est précisément de pouvoir les réinvestir pour y travailler et y accueillir du public. Historiquement, la question de l’occupation consiste à bloquer l’activité. La CGT parle d’occupation mais je pense que le terme est mal choisi dans la mesure où la CGT et les intermittents se battent aujourd’hui pour faire fonctionner leur outil de travail, et non pas pour le bloquer. Notre position, c’est de nous battre pour la réouverture des théâtres et les modalités d’action que nous mettons en place ne sont pas là pour empêcher le travail, bien au contraire, mais pour pouvoir accueillir du public le plus rapidement possible dans nos établissements.
Qu’en est-il de la prolongation de l’année blanche demandée pour les intermittents ? Quelles sont vos préconisations ?
Il n’y a pas encore d’annonce puisqu’un rapport est attendu pour la fin du mois de mars. Le Syndeac a mis en place un outil de travail pour faire des propositions très concrètes, que nous finalisons ces jours-ci. Ce rapport doit faire une évaluation de la situation parce que l’année blanche est un système un peu aveugle. Cela s’adresse à tout le monde, quelle que soit la situation du salarié intermittent. Or, au bout d’un an, on a observé de grandes disparités avec des intermittents dont la rémunération s’est effondrée, littéralement. Certains vont avoir fait leurs heures, mais là où ils avaient d’habitude un cachet moyen à 200 euros, ils vont toucher le minimum syndical à 120 euros. Cela veut dire qu’au moment où ils vont calculer leurs indemnités journalières, non seulement ils auront perdu beaucoup de revenus cette année, mais ils auront en plus une perte de revenus sur l’année qui suit. On souhaite que cette perte de revenus soit compensée et maîtrisée par l’intermittent lui-même au lieu que lui soit imposé un système aveugle qui ne lui permet pas, in fine, de rester dans le secteur. L’année blanche, c’était simple à expliquer, mais là, c’est plus complexe et on sera en mesure de faire des annonces par rapport à nos propositions d’ici une ou deux semaines.
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Sait-on comment vont être utilisés les 20 millions d’euros supplémentaires annoncés le 11 mars par rapport au plan de relance initial ?
Ils vont servir en priorité aux équipes artistiques, notamment pour soutenir l’entrée dans la profession des jeunes compagnies. Il s’agit d’une revendication que l’on porte depuis le début : les dispositifs de relance doivent permettre de financer de l’emploi artistique ou technique. A travers le maintien des subventions, on maintient l’équilibre financier des structures, mais le plan de relance, lui, doit permettre de financer l’emploi. Quand la ministre avait annoncé en août dernier le plan de relance – les fameux 400 millions sur les deux milliards d’euros pour la culture -, elle avait indiqué qu’il était soumis à deux choses : d’une part, qu’il était évolutif et qu’on se reverrait si la crise durait. Cette annonce est donc justifiée et il devra sans doute y en avoir d’autres – c’est comme une clause de revoyure. D’autre part, elle avait annoncé que la manière de dépenser l’argent serait souple en fonction des problèmes à régler. Aujourd’hui, on a une connaissance assez partielle de la manière dont cette crise impacte les entreprises, les lieux, les compagnies. Nous demandons donc qu’à travers le mécanisme de la démocratie sociale et de la négociation avec les partenaires, on puisse régulièrement faire des points de suivi pour modifier ou pas les dispositifs mis en œuvre. Il est important de pouvoir faire évoluer la réponse à la problématique. Pour nous, cette annonce de 20 millions d’euros, c’est une manière de vérifier que l’engagement à ce fameux “quoi qu’il en coûte” perdure, dans le sens où l’on est le secteur le plus impacté par cette crise.
Par ailleurs, on ne parle que de l’Etat, mais je peux vous dire que dans les régions et dans les villes, le maintien des subventions en 2021 n’est pas encore acquis. S’il commence à y avoir des désengagements de ce côté-là, cela va se faire d’une manière beaucoup plus silencieuse et avec des conséquences bien plus graves. Aujourd’hui, si vous prenez le bloc communal, les départements et les régions, elles financent la culture beaucoup plus que l’Etat. Vous pouvez très bien avoir un désengagement financier de la puissance publique qui passe inaperçu parce qu’il est porté par des acteurs qui sont fractionnés et politiquement invisibles. Alors, si les 20 millions qu’on nous annonce d’un côté, on les perd de l’autre, c’est fini.
Comment voyez-vous arriver la saison des festivals ?
Pourquoi insister à ce point sur la réouverture des théâtres ? Parce que l’on est un secteur particulier. Il va y avoir des problématiques très concrètes de disponibilité des plateaux, d’abord pour répéter, puis pour jouer. Les répétitions qui ont lieu en ce moment étaient soit déjà prévues, soit se sont rajoutées sans être corrélées à un calendrier de diffusion. On a besoin d’un calendrier pour réorganiser nos plannings de répétition de manière à être prêts le jour J.
Deuxième point : les équipes. Elles sont laminées par la crise et elles appréhendent une reprise sur les chapeaux de roues. On souhaite une reprise progressive de l’activité. On a besoin de se réentraîner, les publics ont besoin de revenir. L’histoire des festivals est importante parce qu’elle nous permet de nous dire : si les festivals reprennent cet été, on demande que quatre semaines avant, les théâtres aient rouvert de manière à tester les choses, qu’on puisse reprendre les réflexes. On parle bien sûr d’une réouverture avec progressivité.
Propos recueillis par Fabienne Arvers
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