Consacré aux “amazones” du pop art effacées par l’écriture de l’histoire, le catalogue de l’exposition She-Bam Pow POP Wizz ! interroge les conditions et les enjeux d’une telle reconnaissance aujourd’hui.
Pour élargir l’histoire de cet art qui fait “Pop”, une seule interjection ne suffisait pas. Alors, ce sera She-Bam Pow POP Wizz !, un titre choisi pour donner aux artistes femmes écartées de la légende dorée du pop art des airs de super-héroïnes. Cela colle à l’époque, ces années 1961-1973 efflorescentes vécues dans l’élan euphorique d’horizons radieux.
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En réunissant une quarantaine d’“amazones du pop”, les deux historiennes de l’art et commissaires d’exposition Hélène Guenin et Géraldine Gourbe entendent réécrire l’histoire du pop art avec des formes méconnues. La recherche s’organise en exposition au MAMAC, à Nice, que dirige Hélène Guenin depuis 2016, et en catalogue, dont les planches et les essais (des deux commissaires, de Didier Semin et de Sid Sachs) sont complétés de notices biographiques (en collaboration avec l’association AWARE – Archives of Women Artists, Research and Exhibition) et d’une chronologie.
Dans l’espace, celui des salles thématiques de l’exposition, on se laisse happer par les formes efficaces et enchanter par les biographies rocambolesques. Il y a ainsi, et c’est le tout premier ensemble présenté, l’artiste Nicola L., dont les dessins et les éléments en vinyle déclinent le corps des femmes en un récit édénique revisité. On apprend encore, à propos de l’artiste née au Maroc de parents français, et c’est alors l’histoire de l’art qui s’étoffe, qu’elle fut dealeuse à Ibiza pour subvenir à ses besoins et à ceux de son ami, galeriste d’un certain Marcel Broodthaers encore à ses débuts faméliques.
On s’émerveille de Kiki Smith réalisant des lits défaits avant Tracey Emin, de Chryssa dépeignant des scènes hyperréalistes d’animaux gonflables avant Koons
Au MAMAC, parce que ces artistes furent partie prenante de l’aventure du pop art, on se penche surtout sur des individualités irradiantes injustement passées sous silence. On s’émerveille de Kiki Smith réalisant des lits défaits avant Tracey Emin, de Chryssa dépeignant des scènes hyperréalistes d’animaux gonflables avant Koons, d’une Evelyne Axell sexualisant les automobiles avant Cronenberg ou encore de Marie Menken promenant sa camera Portapak dans New York avant Andy Warhol.
Opérations de rélecture
Ce travail d’éclairage rétrospectif est l’un des chantiers les plus pressants du moment. On aura auparavant, en d’autres lieux et au gré de focus solo, noué plus ample connaissance avec certaines de ces amazones : à Paris notamment, Valie Export à la galerie Thaddaeus Ropac ; Ulrike Ottinger à la galerie Eric Mouchet ; Corita Kent à la galerie Joseph Allen ; Jacqueline de Jong à l’espace d’exposition Treize. Or, si l’exposition niçoise, prévue pour s’achever fin mars, reste pour l’instant maintenue dans les limbes de l’incertitude, le catalogue permet également d’opérer une lecture plus fine, éclairant les paradoxes et les contradictions qui travaillent, ainsi que le formule Didier Semin, la complexe “conquête de l’autonomie”.
Parmi les galeristes qui firent le pop, il y eut aussi beaucoup de femmes : Ileana Sonnabend, Virginia Dwan ou Iris Clert, qui pourtant n’en présentèrent que peu
A l’écriture postérieure de l’histoire par les vainqueurs se superposent aussi, et l’on en tient plus rarement compte, les luttes stratégiques d’époque. Parmi les galeristes qui firent le pop, Didier Semin le rappelle, il y eut aussi beaucoup de femmes : Ileana Sonnabend, Virginia Dwan ou Iris Clert, qui pourtant n’en présentèrent que peu – cette dernière déclarant à l’époque : “Les femmes qui se prennent pour des Femmes m’embêtent !”
Géraldine Gourbe prône alors l’“écart tactique” lors des opérations de relecture, notamment féministe, de l’histoire. Il faut, insiste-t-elle, également opérer “une analyse critique de son propre camp”, faute de quoi “une volonté certes légitime de porter certains moments d’amnésie collective à la connaissance de tous·tes peut paradoxalement se révéler contre-productive”.
L’importance du contexte théorique de l’époque
Dans le cas des femmes du pop art, cette méthodologie a tout à voir avec le contexte théorique de l’époque : là où l’introduction des cultural et des visual studies anglo-américaines, en friction avec l’histoire de l’art pure et dure, permit de légitimer l’usage et la diffusion des “héroïnes du pop”, Barbarella ou Emma Peel importées de la culture populaire, l’avènement du féminisme marxiste et lacanien au début des années 1970 jettera l’anathème sur les représentations ultra-sexy qui peuplent le pop art – la pilule passe d’autant moins lorsque ces représentations émanent d’autres femmes.
Dès lors qu’apparaissent les concepts de male gaze ou de “fétichisme visuel”, les représentations de corps féminins deviennent suspectes et un résidu patriarcal à déconstruire, sous peine également de faire le lit d’un néocapitalisme friand d’expression personnelle.
Analyser les débats soulevés par cette “subversion séduisante” soulève des points de méthode qui s’appliquent à toute “redécouverte” miraculeuse
Analyser les débats soulevés par cette “subversion séduisante” – le titre de l’exposition pionnière Seductive Subversion: Women Pop Artists, 1958-1968 qui, en 2010, posait les premiers jalons de l’exploration de la période, organisée par Sid Sachs et Kalliopi Minioudak à la Rosenwald-Wolf Gallery de l’University of the Arts à Philadelphie – soulève des points de méthode qui s’appliquent à toute “redécouverte” miraculeuse.
En effet, combien de ces redécouvertes alimentent la spéculation marchande, ou la communication spectaculaire, occultant d’autant plus efficacement le contexte structurel d’une époque qui, matériellement, n’offrait qu’à une poignée de privilégié·es les moyens de leur ambition ? Dans son essai, Sid Sachs livre quant à lui un compte rendu minutieux du sexisme et de la sexualisation dans les écoles d’art des années 1950 tout en insistant à son tour sur la nécessité d’“analyser autant que faire se peut les périodes à partir des critères en vigueur à leur époque et non à partir de ceux de la nôtre”.
She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du Pop (Flammarion), 160 p., 170 illustrations, 35 €
A retrouver également les focus sur les artistes de l’exposition sur awarewomenartists.com
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