Faire entendre la diversité des voix qui ont pris part à la révolution tunisienne et la colère, la désillusion ou les rêves d’aujourd’hui : un défi magnifiquement relevé.
“Les révolutions n’échouent pas. Elles prennent leur temps.” C’est sur ces mots, porteurs d’espoir, que se termine le spectacle de Myriam Marzouki, Nos ailes brûlent aussi. Il faut du temps, en effet, pour digérer l’impact qu’a eu la révolution tunisienne en janvier 2011, son effet boule de neige dans le monde arabe et l’insoutenable retour à la case départ, tyrannique et anti-démocratique, dans la plupart des cas.
La Tunisie, Myriam Marzouki y a passé une grande partie de son enfance et a choisi de la quitter après son bac pour rejoindre la France d’où elle est aussi originaire. Mais de spectacle en spectacle, elle y revient sans cesse, terrain de jeu inépuisable pour penser ensemble la poétique du plateau et la dimension intrinsèquement politique du théâtre : “La révolution tunisienne de 2011 a ouvert les séquences des printemps arabes avec les soulèvements en Lybie, en Égypte, puis en Syrie. Aujourd’hui, cette séquence historique d’espérance démocratique s’est refermée partout, même en Tunisie.”
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Tragédie contemporaine
Le démarrage de la pièce se fait dans la pénombre. On entend en voix off Ben Ali discuter au téléphone, depuis son avion privé, avec plusieurs membres de son gouvernement lorsque la révolte s’empare du pays. Il demande à chacun s’il doit rentrer ou pas à Tunis ; et tous de lui répondre par la négative. Un dialogue littéralement hors-sol, coupé de la réalité à un degré hallucinant d’absurdité et d’aveuglement.
Prendre le pouls de l’élan extraordinaire qui a poussé tout un peuple à se révolter et observer, dix ans après, l’étendue de la désillusion qui remplace l’espoir, se distille à travers les relations et les prises de parole des trois acteur·ices qui arpentent un plateau rapidement recouvert d’une pluie de cendres. Image en négatif d’une révolution qui s’effrite sous les doigts et laisse un goût d’amertume dans les paroles recueillies par Myriam Marzouki et Sébastien Lepotvin pour écrire le spectacle, auxquelles répondent dans un noir et blanc saturé d’ombres les vidéos de Fakhri El Ghezal déroulant des paysages granuleux avant de se poser sur un groupe d’enfants plongeant du haut d’un rocher dans la mer.
“Le travail en amont du plateau a débuté par une recherche sur des matériaux documentaires divers : articles de presse, travaux de recherche, recueils de témoignages, archives vidéos, extraits des auditions de l’Instance Vérité et dignité (IVD), l’instance de justice transitionnelle tunisienne, documentaires réalisés depuis la révolution de 2011, entretiens”, indique Myriam Marzouki.
Un matériau qui s’est sculpté au cours des répétitions pour aboutir à la construction d’un “livret de paroles“ fonctionnant comme un chœur pour cette tragédie contemporaine démarrée avec l’immolation de Mohamed Bouazizi et qui, depuis, n’a cessé de pleurer celles et ceux qui s’immolent encore et toujours en signe de protestation comme celles et ceux qui cherchent à fuir le pays et meurent en mer. À l’heure où la situation politique en Tunisie se dégrade au point d’alerter les Européen·nes s’alarmant du risque d’un “effondrement“ de la Tunisie, Nos ailes brûlent aussi témoigne d’un désir toujours aigu des peuples à se libérer de l’oppression. Une question de temps, donc…
Nos ailes brûlent aussi, de Myriam Marzouki et Sébastien Lepotvin, mise en scène Myriam Marzouki. Avec Mounira Barbouch, Helmi Dridi, Majd Mastoura. À la MC93 de Bobigny jusqu’au 30 mars. Du 5 au 6 avril à la Comédie de Colmar, le 8 juin au ZEF dans le cadre des Rencontres à l’échelle de Marseille.
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