Trois comédien·nes déclinant·es évoquent les joies et désillusions de leur métier d’amuseur·euses. Glysleïn Lefever accentue l’étrangeté de cette pièce de Jean-Luc Lagarce, en optant pour un traitement lynchien qui entortille les sens. Une réussite.
Habituellement, le Studio de la Comédie-Française peut provoquer des sensations bizarres. Située dans l’antre du Carrousel du Louvre, à des dizaines de mètres en sous-sol, la salle est une petite boîte noire, hermétiquement close et coupée du reste du monde. On en sort rarement après 19h30 et il faut toujours du temps pour se réhabituer à l’éclat du soleil, aux bousculades touristiques et au boucan infernal du cœur de la capitale.
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La pièce qui s’y joue actuellement, Music-Hall, a tendance à décupler cet effet. D’ailleurs, à l’issue de la représentation, il serait certainement judicieux de rester un instant sous terre, histoire de décompresser avant de refaire surface ; on peut avoir l’impression d’être carrément drogué·e (ce qui n’est pas forcément désagréable).
Désillusions en cascade
La mise en scène est de Glysleïn Lefever, une artiste connue pour ses chorégraphies (La Vie de Galilée, La Double Inconstance, Mais quelle comédie !, toutes données au Français), qui mériterait d’être davantage jouée au théâtre. La pièce, trop rarement montée, est de Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, Derniers Remords avant l’oubli).
Sur scène, il y a une Fille (Françoise Gillard), star vieillissante du music-hall, et ses deux Boys (Gaël Kamilindi et Yoann Gasiorowski) qui ont décidé de l’accompagner jusqu’au bout. Pendant un peu plus d’une heure, ils vont raconter et danser leur vie d’artistes sur le déclin : l’usure de l’itinérance, les salles miteuses, leurs patrons véreux, l’indifférence du public, les recettes difficiles, les désillusions en cascade… On y retrouve tout l’amour et la tendresse de Jean-Luc Lagarce pour les troupes et les acteur·trices.
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Ces artistes ont-il·elles jamais connu le succès ? Existent-il·elles réellement ? Sont-il·elles déjà mort·es ?
Glysleïn Lefever a eu la bonne idée d’opter pour un traitement lynchien accentuant l’étrangeté de cette pièce magnifique dont le texte, difficile et répétitif, entortille les sens. Le plateau minuscule ressemble à un délicat écrin de coton où la mort rôde en permanence, les frontières temporelles se brouillent, l’amour se joue à trois et l’inconscient réordonne les désirs.
Ces artistes ont-il·elles jamais connu le succès ? Existent-il·elles réellement ? Sont-il·elles déjà mort·es ? Qu’importe après tout. La partition de Sylvain Jacques et les ritournelles omniprésentes de Joséphine Baker (“Ne me dis pas que tu m’adores mais penses à moi de temps en temps”) suffisent à nous porter sur le fil tendu par Glysleïn Lefever entre fantasme et réalité, même dans un état second.
Music-Hall de Jean-Luc Lagarde, mise en scène Glysleïn Lefever, avec Françoise Gillard, Gaël Kamilindi et Yoann Gasiorowski. Jusqu’au 11 juillet, Comédie-Française (Studio-Théâtre), Paris
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