Attendue autant que contestée, la biennale européenne itinérante d’art ouvrira ses portes à Marseille vendredi 29 août. Pour mieux en saisir les enjeux territoriaux, retour sur la création du Musée de Marseille, en 1801.
Un article écrit en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF.
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Amplifiés par les informations officielles distillées au compte-gouttes, les bruits de couloir, de rue et de vernissage ont longtemps fait office d’annonce officielle pour Manifesta 13. Et puis ça y est : une pandémie sera passée par là, mais fin août, la biennale itinérante d’art européen, décalée de deux mois, ouvrira bel et bien ses portes à Marseille à partir du 28 août.
Scrutée de près, cette initiative le fut avant même que son équipe artistique et son contenu n’aient été dévoilés. Décortiquée, et surtout, plébiscitée ou vilipendée : sur Manifesta, se rendait-on vite compte, il fallait avoir un avis.
C’est que cette initiative exogène issue des grands centres du nord de l’Europe, en l’occurrence Rotterdam aux Pays-Bas, ranime d’autres débats non moins houleux : ceux qui entourèrent, il y a sept ans, Marseille-Provence 2013, lorsque la ville fut capitale de la culture et désignée comme telle par l’Union Européenne.
A l’aune de l’engouement suscité depuis, on croirait, à en juger des regards extérieurs, que la ville a été entièrement inventée à ce moment. Tout se passe comme si les musées avaient soudainement poussé de la terre, que l’on y avait parachuté artistes et curateurs, que la scène, enfin, y avait été créée de toutes pièces.
Certes, le tissu s’est densifié, surtout en ce qui concerne les lieux alternatifs, qui y font en effet florès, à l’image du reste de la France. Mais pour comprendre les enjeux et les débats liés à Manifesta 13, il faut encore remonter plus loin dans l’histoire. Avant 2020, avant 2013 et plus précisément : à l’ère napoléonienne.
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Les prémisses napoléoniennes
Nous sommes alors en 1801. En 1799, Napoléon, pas encore Empereur, mais déjà homme aux ambitions voraces, est arrivé au pouvoir. Il s’est proclamé Premier Consul, et fort de ces pouvoirs, va commencer à organiser l’entrée dans la nouvelle ère de l’après Révolution.
Celle-ci a notamment mis fin aux privilèges du clergé, dont les biens vont dès lors être nationalisés, en même temps que ceux des émigrés. A ceux-ci s’ajoutent les pillages durant les campagnes militaires de la décennie précédente, ces œuvres et artefacts saisis en Italie, en Prusse et en Pologne.
Tout cela converge vers Paris, et tout cela représente un volume démesuré. S’invite alors à l’ordre du jour la question de la conservation et de la présentation du fruit de ces saisies, larcins et pillages. Pour asseoir le prestige de la nation, il faut les montrer, les exhiber, mais ni le Louvre, ni Versailles, ni même les musées parisiens ne sauraient suffire.
L’arrêté Chaptal, un premier pas vers la décentralisation
“L’immense galerie ouverte au public ne peut pas recevoir la moitié des chefs-d’œuvre dont la nation est propriétaire”, lit-on alors à propos du Louvre, ou Museum des Arts ainsi qu’en va la désignation de l’époque, dans la Gazette nationale ou le Moniteur universel qui le publie.
Pour y remédier, Napoléon ordonne à Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur, de se pencher sur la chose. Le 2 septembre 1801, La Gazette nationale ou le Moniteur universel fait état de la présentation, le 13 fructidor an IX (soit le 31 août 1801), de l’arrêté Chaptal. La solution est simple : il faut sortir de la centralisation parisienne.
La situation l’impose pour des raisons pratiques, mais elle fournit également l’occasion d’asseoir une certaine vision : celle des prémisses de la décentralisation. Il est en effet dans “le plus grand avantage des arts” de penser également aux “devoirs que nous avons à remplir envers les départements (sic)”, mentionne encore la même source.
A cet effet, celui du “partage du fruit de nos conquêtes” et de “l’héritage des œuvres des artistes français”, l’arrêté Chaptal pose les prémisses de la décentralisation et s’impose comme l’acte fondateur des musées de région.
L’acte de naissance du Musée des Beaux-Arts de Marseille
L’arrêté propose alors de “former quinze grands dépôts de tableaux, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Bruxelles, Marseille, Rouen, Nantes, Dijon, Toulouse, Genève, Caen, Lille, Mayence, Rennes, Nancy”.
Ces villes sont choisies non seulement en raison du nombre de leur population, mais également en raison “des connaissances déjà acquises” et “des dispositions naturelles” qui “feront présager des succès dans la formation des élèves”.
A Marseille, le choix d’une “galerie convenable pour les recevoir”, selon les mots du Premier Consul Bonaparte, tombe sur le Couvent des Bernardines, lui aussi nationalisé suite à la Révolution.
Le 27 septembre 1804, il est fait état de l’ouverture et de la collection qui rassemble dès lors “plusieurs tableaux des meilleurs maîtres, et de bonnes copies de fameux morceaux de sculpture, tels que l’Apollon du Belvédère, le Gladiateur et autre”.
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Déménagement, construction, inauguration, répartition
Un demi-siècle après son acte de naissance, le Musée des Arts de Marseille déménage. Pour en accueillir dignement les collections, il lui faut un bâtiment sur mesure : ce sera l’actuel Palais Longchamp, situé dans le quartier Cinq-Avenues du IVe arrondissement. Soit un vaste bâtiment semi-circulaire, érigé dans le style néoclassique du Second Empire, précédé d’un château d’eau dont les bassins sont bordés de vastes pelouses. Cette fois, c’est la presse locale qui s’en fait l’écho.
Le Sémaphore de Marseille, plus ancien journal de la ville fondé en 1827, relate ainsi l’inauguration des murs en août 1869, où s’installeront, dans les deux ailes symétriques, le Muséum d’Histoire Naturelle et le Musée des Beaux-Arts.
Quelques mois plus tard, le même journal souhaite familiariser plus amplement ses lecteurs avec les œuvres et artefacts abrités par cet endroit désormais prisé des Marseillais pour leurs excursions et promenades : “Il ne sera pas sans intérêt pour nos lecteurs de faire connaissance, au moins d’une façon générale et sommaire, avec les richesses artistiques ou scientifiques contenus dans nos collections.”
Etat-nation, centre et périphérie
Et puis en 1873, c’est enfin l’ouverture au public. A ses collections qui couvrent aujourd’hui une période du XVIe au XIXe siècle à travers peintures, sculpture et dessins, le musée intégrera, à partir du XIXe siècle, également les ressortissants de ce qu’il est d’usage de qualifier d’ »école Provençale ».
A la même époque, les historiens de l’art commencent également à parler d’une “école de Marseille”, qui succéderait aux écoles provençales, afin de caractériser le partage d’un style et d’une origine géographique. La décentralisation semble avoir porté ses fruits, l’arrêté Chaptal mentionnant bien comme l’une de ses fins explicites l’éducation des artistes du territoire.
Il n’en reste pas moins que ces écoles restent souvent problématiques. Apparues dans le sillage des Etats-nations, les écoles régionales restent souvent subordonnées aux écoles nationales et reflètent l’organisation d’un territoire national selon un centre et ses périphéries.
Aux “dépôts”, dont le terme est parlant, qui posèrent les bases de la décentralisation, ont fait place d’autres initiatives : les capitales culturelles et les biennales, s’ancrant dans un territoire par l’érection à leur tour de structures pérennes.
L’“héritage tangible” et les communautés informelles
Ce fut en 2013 avec le MuCEM ou le nouveau bâtiment du FRAC Provence-Alpes Côtes d’Azur. Ce sera, en 2020, un vaste chantier d’aménagement piloté par l’architecte Winy Maas et l’agence d’urbanisme MVRDV, tous deux Néerlandais – en vue de léguer à la ville un “héritage tangible”, comme indiqué sur le site de la biennale.
Néoimpérialistes, voire néonapoléoniennes, ces initiatives ? Dotant la ville et sa région de structures et d’outils culturels, ces constructions tangibles restent des coquilles vides si les habitants ne se les réapproprient pas et n’en définissent pas les usages ultérieurs.
A Marseille tout particulièrement, riche d’un tissu institutionnel comme d’autres villes en région, mais s’en distinguant par le nombre d’artistes internationaux ayant choisi d’y élire résidence, et ce dès les années 1990 qui vit leur installation exploser, ce premier niveau, le plus visible, fonctionne en parallèle d’un second.
Vers une autre dé-territorialisation ?
Les initiatives informelles y prospèrent et ce serait d’ailleurs plutôt elles qui attirent aujourd’hui l’attention internationale. Celles-ci, plus jeunes, tendraient à s’inscrire d’emblée dans une autre dynamique : de flux, de migrations, de régions dépassant les confins nationaux, d’identités choisies plutôt qu’assignées.
Pour les jeunes artistes de la région en effet, ce serait davantage une dynamique d’un Sud globalisé dont il s’agirait ici, d’une zone Méditerranéenne dépassant les antiques périmètres de la Nation, voire du Nord de l’Europe. Le signe d’une autre dé-territorialisation parallèle et désirante, émanant cette fois-ci non plus d’initiatives exogènes imposées, mais d’une spécificité ancrée dans un tissu local attentif à la globalisation du monde présent ?
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