La mort de l’artiste Roman Opalka donne paradoxalement un nouveau souffle à son œuvre.
Ceci n’est pas une nécrologie. Car en dépit des faits – et bien que l’artiste d’origine polonaise, installé en France depuis la fin des années 70, nous ait bel et bien quitté le samedi 6 août à l’âge de 79 ans – la mort du peintre constitue avant tout l’ultime geste d’une oeuvre immense, qui défiait le temps et l’éternité. Bref rappel des faits : hiver 1965, alors qu’il attend sa première compagne dans un café de Varsovie , Roman Opalka, 34 ans, prend la « décision la plus courageuse » de toute sa vie : à compter de ce jour il enregistrera le temps qui passe. Et peindra invariablement une suite de nombres croissants, de 1 à l’infini à raison d’environ 380 par jours.
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Un geste radical d’avant l’art conceptuel qu’il accompagne après sa séance de travail d’un autoportrait réalisé chaque jour à la même heure et selon le même angle. Seule rupture dans ce « programme » en forme d’assurance-vie : la décision prise en 1972 d’ajouter 1% de blanc au grisé des chiffres, conduisant ainsi inexorablement à l’absorption progressive de la forme par le fond et à l’éclaircissement progressif de la série des « Détails« .
« Je suis allé plus loin que le Carré Blanc sur fond Blanc de Malévitch » s’amusait il y a quelques mois le sémillant Opalka rencontré à l’occasion de son exposition à la Galerie Yvon Lambert. « Quand je peins, je ne pense pas aux nombres, comme un marcheur ne pense pas à ses pas. Je peins la durée« , racontait encore ce jeune homme à la crinière blanche qui durant 46 ans livra son visage en pâture au temps.
Précurseur discret qui, déjouant l’imaginaire du « plan quinquennal », inventa avant l’heure le protocole en art, (aujourd’hui repris par de nombreux artistes) et flirtait volontiers avec la notion d’anachronisme (elle aussi très prisée par la jeune génération) au point de se considérer comme un contemporain de Léonard à qui il emprunta la technique du Sfumato, une peinture « sans lignes ni contours, à la façon de la fumée ou au-delà du plan focal », Roman Opalka, comptait parmi les artistes majeurs de la fin du XXème siècle. A l’instar, d’ailleurs, de Cy Twombly et Lucian Freud, deux autres monuments de l’histoire de l’art contemporain décédés pendant l’été.
A l’égard de la mort justement, qui traversait en creux l’ensemble de son oeuvre, Opalka était sans concession et sans illusion : « Je crois à une existence unique, qu’il n’y a pas de vie après la mort ». Ce qui ne l’empêchait pas d’ajouter quelques commentaires acides sur la disparition de ses pairs : « Yves Klein était exalté, il allait très vite et il en est mort ». Ce même Yves Klein qu’il considérait pourtant comme son « double inversé : il a fait le vide quand je faisais le plein« . Quand à savoir quelle valeur (symbolique et marchande) atteindront dans les prochains mois son ultime toile et son dernier autoportrait, Opalka s’en serait bien moqué, lui qui affirmait au crépuscule de sa vie :
« Quand j’ai posé le chiffre 1 c’était le big bang. Après il fallait construire l’univers au jour le jour. Cependant, mon oeuvre est parfaitement finie puisque une seule toile les contient toutes. »
Claire Moulène
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