A Brest, Morgan Courtois entremêle sculptures et sensations olfactives émanant de parfums qu’il a lui-même créés. Une expérience de dématérialisation de la perception.
Redoutable torpeur que celle des après-midi d’été. Fraises, citrons et victuailles du marché se désintègrent à force d’avoir trop goulûment voulu se gorger de soleil. Chargé de l’haleine des fruits du marché, l’air lourd et capiteux pèse sur les paupières. Tout se fond et se mêle. En arrivant, l’artiste nous avait pourtant bien dit que l’exposition se visitait comme un parfum, qu’il fallait la ressentir et la recevoir ainsi. S’en imprégner plutôt que tenter de voir.
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A Passerelle, à Brest, Morgan Courtois investit l’étage supérieur du centre d’art avec It’s All Tied up in a Rainbow, son premier solo show en institution. Sous la verrière, le jeune artiste, 30 ans tout rond, prolonge l’expérience sensuelle qui déjà avait conquis le jury du Prix Meurice l’an passé. Une navigation olfactive, “impressionniste” pour reprendre un terme qu’il affectionne, où l’acte de sculpter ne concerne pas tant l’excavation du bloc de marbre que l’assemblage de composantes volatiles comme seuls le sont les odeurs ou les souvenirs.
D’un cercle dantesque à un autre
Morgan Courtois a d’ailleurs longtemps hésité entre les deux, la mise en espace des rêves ou celle des odeurs. Une fascination pour le néoréalisme italien et Federico Fellini lui fait d’abord nourrir des ambitions de cinéma. Puis advient la rencontre avec la sculpture. Lors de ses études aux beaux-arts de Lyon, il plonge les mains dans la terre et le plâtre – et ne les en ressortira plus. Lors de son solo remarqué à la galerie Balice Hertling en 2016, l’espace était structuré autour d’une pièce centrale : un gisant en plâtre, modelé par l’artiste en combinant plusieurs photos de statues d’hermaphrodites de l’Antiquité grecque.
A Brest, un autre dormeur alangui prolonge la série et mène d’un cercle dantesque à un autre. Des profondeurs terreuses, on passe aux cimes aériennes. Autour de lui prennent place de grands vases en plâtre, résine et fruits – ceux évoqués en entrée. Aux accords du masculin et du féminin de l’hermaphrodite répond la synthèse de l’organique et du synthétique.
Le conception de parfums comme un scénario
Surtout, il émane de ces vases les effluves entêtants qui depuis le début brouillent la perception rationnelle et rétinienne. Morgan Courtois avait raison, l’exposition s’expérimente comme un débordement viscéral ; un fleuve en crue mêlant dans son torrent les souvenirs, émotions et impressions enracinées dans l’histoire affective de chacun. Un processus pourtant éminemment maîtrisé de la part de l’artiste, chez qui la conception de parfums traduit un scénario écrit sous la forme d’un poème. Un récit de voyage de la Provence vers Paris pour fond de sac, le parfum proposé au Prix Meurice ; ou alors l’impression d’un paysage chaud et sec à deux doigts de s’embraser pour Rouge paupière, celui qui flotte désormais sous la verrière de Passerelle.
Troublés, on oublierait presque les tableaux en résine qui incarnent eux-aussi l’idée de ce “rouge paupière” : sombres et mouchetés, ils figurent l’impression de miroitements lumineux perçus les paupières closes. Avec une grâce rimbaldienne, Morgan Courtois se taille une place parmi l’une des généalogies d’artistes les plus intéressantes du moment. Ces néo-alchimistes qui renouvellent la sculpture par sa dématérialisation olfactive : Anicka Yi, Pamela Rosenkranz, Sean Raspet ou Clémence de La Tour du Pin.
It’s All Tied up in a Rainbow Jusqu’au 18 août au Centre d’art contemporain Passerelle à Brest
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