Avec Xenos, Canine jaunâtre 3 et aSH, la mémoire, les danses de combat et les destins personnels se sont invités sur les scènes héraultaises.
Le concert a commencé dès avant le premier pas de danse. Sur le vaste plateau du Corum de Montpellier, le public est accueilli en musique par B.C. Manjunath et Aditya Prakash. Dans son premier solo, d’inspiration traditionnelle, Akram Khan évoque l’Inde, pays qui fournira plus d’un million de combattants à l’Empire britannique durant la Première Guerre mondiale. Il est ce soldat inconnu “posant des câbles sous la boue”.
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Lorsque le danseur défait ses bracelets de chevilles ornés de clochettes, on y voit le geste du fantassin se dépouillant de ses bandes molletières. Xenos est toujours à bonne distance du récit de bravoure, préférant l’héroïsme du quotidien. Les effets sont ici calculés : jeu de cordes, bande-son avec bruit du tonnerre, quintet de musiciens le plus souvent cachés.
Lorsqu’enfin le décor semble aspirer tous les accessoires, effet grandiose, il ne reste qu’Akram Khan et un peu de terre éparpillée. Le soliste danse sur la crête, mouline des bras. Pour finir seul, recroquevillé. On connaît la présence rare de cet interprète. Xenos est son chant d’adieu. La chorégraphie est parfois – trop – détachée de son sujet, loin de la force émotionnelle de Desh, solo quasi autobiographique de Khan. “It’s not a war. It’s the end of the world”, entend-on. Akram Khan, lui, a gagné la partie.
Le troisième portrait de femme artiste d’Aurélien Bory
Si guerrière elle était, Shantala Shivalingappa pourrait en remontrer aux dieux. A commencer par Shiva, dont tout aSH semble porter la marque. Mis en scène par Aurélien Bory, aSH est son troisième portrait de femme artiste après ceux consacrés à Stéphanie Fuster puis à Kaori Ito. Pour le premier, Bory avait fusionné le flamenco avec son écriture de l’espace. Plexus voyait, quant à lui, Kaori Ito prise dans une toile de filins.
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En collaborant avec Shantala Shivalingappa, experte en kuchipudi, une danse traditionnelle indienne, mais tout autant interprète contemporaine à l’aise chez Pina Bausch ou face à Sidi Larbi Cherkaoui, Bory puise cette fois aux sources de la mythologie du sous-continent indien. Il crée des images d’une rare beauté comme ce décor de papier sonorisé presque menaçant. Shantala est Shiva et en même temps une femme maître de son destin.
Ce dieu Shiva, créateur et destructeur, finit par s’incarner dans la peau de Shantala, dont la technique classique très affirmée s’accommode des clairs-obscurs d’aSH. Elle finit par esquisser du pied un hybride de mandala et de kolam – ces dessins éphémères de bienvenue –, puis finira comme avalée par la scénographie. Mais triomphante. Avec pour compagnon d’aventure le percussionniste Loïc Schild, Shantala Shivalingappa domine les éléments avec une grâce irréelle. Une création comme un tableau vivant.
Marlene Monteiro Freitas dégaine un extrait du Lac des cygnes
En cours de festival, le réel a dépassé la fiction : rues barrées, passages filtrés, l’accueil de la compagnie israélienne Batsheva à Montpellier s’est fait sous haute surveillance. L’Agora n’a pas pour autant résonné de protestations mais de cris (de joie) et de chants (Nina Simone, Chico Buarque ou Nick Cave).
En acceptant pour la première fois de travailler avec d’autres danseurs que les siens, Marlene Monteiro Freitas n’y va pas par quatre chemins. Maquillages dégoulinants, effets de répétition, musicalité tous azimuts, Canine jaunâtre 3 est à la fois un magnifique objet visuel et une danse macabre. “Comme un beau sourire avec une dent moche”, dit Marlene.
On ne sait pas qui de la compagnie ou de la chorégraphe a résisté à l’autre, mais force est de constater que le résultat reste en deçà de nos (folles) attentes. Pourtant, une réflexion sous-tend le projet, qui voudrait épuiser la virtuosité reconnue des solistes de la Batsheva ici délestés de leur mentor, Ohad Naharin.
On en était là, ce soir d’été, et c’est à cet instant que Marlene Monteiro Freitas a dégainé un extrait du Lac des cygnes. Presque aussi bien que le finale à venir sur Man Down de Rihanna. La lecture pop de la Cap-Verdienne combinée à son goût des visages déformés et autres métamorphoses nous aura une fois de plus vengés de trop de spectacles médiocres vus cette saison. Philippe Noisette
Xenos de et avec Akram Khan, du 13 au 15 juillet, Amsterdam, du 16 au 18 août, Festival d’Edimbourg
Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas, le 17 juillet, Tel-Aviv
aSH d’Aurélien Bory, en tournée en France à partir de décembre
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