Transposant dans les années 1950 une comédie-ballet de Molière mise en musique par Lully, Clément Hervieu-Léger et le chef William Christie signent un spectacle aussi drôle que définitivement glaçant.
La belle idée de Clément Hervieu-Léger… Imaginer faire voyager une œuvre de Molière et Lully dans le temps pour lui trouver un point de chute idéal dans le Paris des années 1950. Monsieur de Pourceaugnac est une comédie-ballet qui fut créée au château de Chambord en 1667.
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Tournant le dos à une prétendue archéologie théâtrale qui voudrait qu’une telle pièce appartienne au répertoire baroque et s’interprète forcément en costumes d’époque et à la lueur des bougies, Clément Hervieu-Léger bouscule les règles du genre pour en exalter la modernité.
L’ancêtre des comédies musicales
Pour mener à bien ce projet dédié à une forme de spectacle qui, en mêlant le théâtre, la musique et la danse, est l’ancêtre de nos comédies musicales, le chef William Christie lui emboîte le pas en installant les musiciens des Arts Florissants sur le plateau pour les associer au jeu de la troupe des comédiens-chanteurs réunis par le metteur en scène.
Rappel des faits : Monsieur de Pourceaugnac est un brave bourgeois qui débarque de son Limousin natal pour se marier dans la capitale. Son seul crime : s’être entendu avec le père d’une jeune femme qu’il n’a jamais vue pour signer avec lui un contrat qui fera d’elle son épouse.
Tout entreprendre pour rendre marteau le provincial Pourceaugnac
Mais Julie aime Eraste et compte bien l’épouser. Les deux amants vont demander de l’aide à un demi-sel de leur connaissance, l’Italien Sbrigani. Celui-ci, aidé par quelques complices, va tout entreprendre pour rendre marteau le provincial Pourceaugnac et lui faire passer le goût de remettre un jour les pieds à Paris.
“J’avais à cœur de sortir la forme de la comédie-ballet de l’inévitable esthétique baroque, précise le metteur en scène. Bien que je ne sois pas un tenant de la transposition à toute force, j’ai choisi d’inscrire cette histoire dans le Paris de la fin des années 1950. A cette époque en effet, la différence entre Paris et la province est encore extrêmement marquée et il n’est pas rare de rencontrer un bourgeois de province n’ayant jamais mis les pieds dans la capitale. Les mariages arrangés sont encore fréquents mais les jeunes filles, comme Julie, sont de moins en moins décidées à s’y soumettre. Enfin, nombre d’immigrés italiens ont gagné la France au lendemain de la guerre.”
L’univers des clichés de Doisneau
Ce Paris de l’après-guerre est aussi celui où l’on découvre au cinéma Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, en 1956, tandis que Brigitte Bardot devient un modèle pour toute jeune fille ayant le désir de s’émanciper du carcan de la tutelle parentale.
C’est en s’inspirant des décors aux perspectives savantes d’Alexandre Trauner et en se souvenant de l’univers des clichés en noir et blanc chers à Robert Doisneau que Clément Hervieu-Léger situe l’action dans un quartier populaire de la capitale.
Tout porte à croire que le combat mené par Julie est amplement justifié. Pourtant, et c’est l’ironie cruelle de la pièce, Molière en masque jusqu’au bout le véritable propos derrière les rires… A travers la défense imparable de cette idylle, son but est de dénoncer les pires comportements qui apparaissent chez les humains quand, pour régler leurs comptes, ils se rassemblent en meute.
Battu, volé, humilié et violé
En emballant la machine comique de cette course-poursuite jusqu’à la transformer en une véritable chasse à l’homme, Molière propose une intrigue qui continue de faire rire même quand, de toute évidence, les bornes de la légitime leçon donnée à Pourceaugnac sont dépassées depuis longtemps. Battu, volé, humilié et même violé, le pauvre bourgeois bascule dans la folie et finit par perdre la conscience de sa propre identité. Pour sauver sa peau, c’est travesti en femme qu’il finit par trouver enfin son salut dans la fuite.
En choisissant l’extraordinaire Gilles Privat pour incarner ce provincial devenu le parfait bouc émissaire, Clément Hervieu-Léger offre à l’acteur le rôle magnifique de la victime qu’on juge trop vite coupable et qu’on condamne à la vindicte populaire.
Monsieur de Pourceaugnac • comédie-ballet de Molière & Lully • Teaser from Théâtre des Bouffes du Nord on Vimeo.
Ce moment où les rires restent coincés dans les gorges
C’est l’accent mis sur ce franchissement du Rubicon d’une plaisanterie qui tourne au lynchage qui donne tout son prix à sa mise en scène… Ce moment où les rires restent coincés dans les gorges et où l’on réalise qu’ils n’attisent plus que la haine et encouragent une violence devenue expiatoire.
Comme un cauchemar qui n’aurait jamais de fin, on n’est pas prêt d’oublier la dernière image d’un Pourceaugnac en fugitif apeuré s’immobilisant dans la nuit avec des allures de bête traquée alors qu’il vient simplement d’être happé par le faisceau des phares de la voiture où ont pris place les jeunes mariés.
Digne d’un plan chipé au cinéma de Fritz Lang, tant Gilles Privat nous rappelle avec sa tristesse éberluée l’acteur Peter Lorre dans M le Maudit, cette vision d’épouvante saisie au détour d’un virage est la conclusion splendide choisie par Clément Hervieu-Léger pour clore sa démonstration. En finissant sur ce climax d’angoisse sa relecture ébouriffante de l’œuvre, il fait aussi le lien avec cette peur de l’autre caractéristique des dérives du monde d’aujourd’hui.
Monsieur de Pourceaugnac comédie-ballet de Molière et Lully, mise en scène Clément Hervieu-Léger, direction et conception musicale du spectacle William Christie, les 26 et 27 août dans le cadre du festival Dans les jardinsde William Christie – Rencontres musicales à Thiré (85), arts-florissants.com
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