Le street artist Thoma Vuille, plus connu sous le nom de Monsieur Chat, encourt trois mois de prison ferme pour dégradation. A cause d’un chat dessiné sur un mur de la Gare du Nord, destiné à être recouvert. Interview.
Est-ce que tu peux nous expliquer tes derniers démêlés avec la justice ?
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Monsieur Chat – J’ai peint en septembre 2015 un petit dessin sur le mur d’un quai de la Gare du Nord, qui me paraissait mal entretenu, je me suis dit qu’il était destiné à être refait. J’ai été convoqué par la police et j’ai reconnu que j’avais peint ce chat. Ils m’avaient dit que j’allais m’en tirer avec un simple rappel à la loi, j’ai signé une feuille sans trop faire gaffe à ce que c’était. Il s’agissait en fait d’une convocation au tribunal correctionnel pour récidive pénale.
Ils m’attaquent pour une dégradation sauf que je ne l’ai pas fait pour dégrader, au contraire, j’ai choisi ce mur pour son caractère éphémère. On a essayé avec mon avocate de montrer que l’infraction n’avait pas de fondement juridique valable. La plainte n’a pas lieu d’être, aucun dommage n’a été causé puisque le support était provisoire. J’ai été convoqué le 15 septembre et le procureur a requis trois mois de prison ferme, je mérite pas ça.
Ils demandent une peine aussi lourde car comme j’ai déjà eu des amendes ils considèrent qu’il y a récidive. En plus la SNCF n’était même pas présente à l’audience, je crois que le procureur veut vraiment me charger en demandant de la prison ferme juste pour avoir dessiné un chat. Il a d’ailleurs bien fait comprendre qu’il voulait me punir en disant « il ira dessiner dans sa chambre, ça lui apprendra à peindre sans autorisation« .
(Photo: Thoma Vuille)
Qu’est-ce que tu penses de cette décision ?
Je suis mal car je ne sais pas ce qui va se passer. Je suis entre les mains de la justice. Le délibéré sera rendu le 23 octobre. On m’a conseillé de commencer à en parler car c’est pas normal ce qui se passe. Certains disent que je suis un bobo favorisé et que je n’ai pas à me plaindre, des gens du milieu (du street art) me disent qu’ils ont déjà eu des amendes ou sont déjà allé en tôle et que c’est le risque. Moi, ça me choque que pour un dessin on aille en prison.
Avant cette affaire, pourquoi avais-tu été condamné ?
Il y a deux ans, la station Châtelet était en travaux pendant plusieurs mois, il refaisaient les murs et avaient donc enlevé le carrelage. Je me suis permis de dessiner librement dessus car je savais que ça allait être recouvert. J’ai pris ça comme un support d’expression parce que je pensais que ça ne gênait personne. La RATP n’a pas aimé, ils ne sont pas très street art. Déjà à l’époque la SNCF a voulu joindre une plainte au dossier pour qu’ils puissent me charger à deux. Pour la SNCF, tu peins pas dans les couloirs et dans les gares, même sur des endroits qui vont être recouverts.
(Photo: Thoma Vuille)
Qu’est ce que t’inspirent ces condamnations ?
J’ai conscience que tu peux pas te permettre de choisir un mur comme ça dans la rue et « l’agresser » en prenant le droit de faire n’importe quoi dessus. Tu ne peux pas dessiner au détriment d’un bien public si t’amènes pas un message ou si t’enjolives pas l’endroit.
Tu penses apporter quoi avec tes chats ?
Déjà je suis post graffiti, je fais un vrai dessin. Pour moi c’est un petit clin d’œil, le grain de sel de la journée. C’est un symbole de bonne humeur. Quand Chris Marker (le cinéaste) a fait son film Chats perchés, c’est parce qu’il a vu ce chat sur les murs de Paris après le 11 septembre. Il s’est dit c’est cool, on continue à vivre et il y a un allumé qui met un sourire sur la ville. Je vais pas dire que je suis un artiste mais en tout cas je suis un rêveur et là, c’est comme si la SNCF et le procureur me disaient « dégage connard ».
(Photo: Thoma Vuille)
Tu vas continuer ?
Oui, je m’obstine. Quand je vois une brèche, un petit coin pourri abandonné, un mur qui va être retapé, je mets mon clin d’œil dedans. Et en plus, je suis très con, à chaque fois qu’on me condamne je reconnais les trucs alors même qu’il n’y a ni interpellation ni flagrant délit. Je considère que c’est pas de la dégradation. On a beau me dire qu’un je fais un truc de bobo un peu kawaï, il y a un vrai problème. Il n’y a plus d’espace d’expression dans les espaces publics. Où est l’individu la dedans ? Il existe ? Il y a une systématisation des prunes et je suis pas d’accord. C’est débile. Peindre dans la rue c’est créer du lien social, c’est ça la culture. Mon chat, il parle à tout le monde.
(Photo: Thoma Vuille)
T’as un truc avec les chats ?
Même pas ! Je donnais des cours de dessins et une petite fille m’a fait un dessin avec un genre de chat souriant. Ça m’a procuré une émotion, elle était un peu à part, elle en avait rien à foutre mais je lui ai donné un moyen d’expression et elle l’a pris. J’ai commencé à reproduire le dessin et les gens m’ont dit que c’était un chat. Puis on appelle les Orléanais (Orléans est la ville ou il a commencé à peindre), les « chiens d’Orléans », du coup j’ai trouvé ça bien que ce soit un chat.
Je fais ça depuis le milieu des années 1990. J’étais aux prémices du street art, c’est un peu plus marketing que le graffiti parce que tu cherches à faire des choses qui vont plaire aux gens qui vont le voir mais j’aime bien cette idée.
(Photo: Thoma Vuille)
Tu dois beaucoup à Chris Marker ?
Chris Marker a fait son film (Chats Perchés) en 2004, il voulait comprendre les années 2000, la globalisation et il a senti arriver le mouvement street art avec entre autre Banksy. Le chat représente un symbole de résistance et d’utopie. Il m’a fait rentrer à Pompidou, on a fait la couverture de Libération et il m’a ouvert son réseau. Il m’a mis le pied à l’étrier quand j’avais entre 22 et 24 ans. C’est grâce à lui que je suis arrivé dans la cour des grands et que j’ai pu faire le tour du monde quatre fois.
Grâce à lui, j’ai aussi arrêté de dessiner dans la rue en douce. En 2007, j’en ai eu marre de peindre discrètement. Alors que je peignais à Orléans, les flics sont venus et je leur ai dit « j’arrête pas, c’est vous qui m’arrêtez. Je dessine à l’international, je suis pas un petit délinquant, je n’ai plus à me cacher« . Depuis je bosse aussi en faisant des tableaux mais je m’ennuie à faire de la peinture bourgeoise dans mon atelier, j’ai besoin d’aller peindre dans la rue et que les gens m’alpaguent. C’est comme le live en musique, t’as besoin du contact avec le public. Ce que je n’ai pas dans un atelier.
Propos recueillis par Anne-Charlotte Dancourt
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