Révélé par son travail sur les banlieues françaises, Mohamed Bourouissa a fait des périphéries le moteur de son œuvre. Il présente aujourd’hui une expo sur des cavaliers urbains de Philadelphie.
L’idée initiale était de tourner un film à Philadelphie. Et pas n’importe lequel : un western. Quelques années auparavant, Mohamed Bourouissa apprenait l’existence dans cette ville des écuries de Fletcher Street en tombant sur le livre que leur a consacré la photographe Martha Camarillo. Depuis des générations, une association rachète des chevaux promis à l’abattoir pour détourner les jeunes du quartier de la criminalité – et les riders arpentent fièrement les rues de Philly comme d’autres paradent en voiture tunée.
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Les habitants de ce quartier délaissé sont quasiment tous afro-américains, les cavaliers également. L’inversion de l’image du mythe fondateur des Etats-Unis représenté par le cow-boy blanc, solitaire et avide de grands espaces est totale. Rien d’étonnant à ce que l’artiste franco-algérien soit fasciné. En 2005, alors qu’il est étudiant aux Arts-Déco, Mohamed Bourouissa entreprend la série de photos Périphérique, qui rencontre un succès immédiat : elle est récompensée du prix Voies off aux Rencontres d’Arles en 2007. Dans la France des émeutes où le climat est à l’escalade médiatique, ces clichés faussement spontanés montrent combien l’image des banlieues découle d’une construction médiatique.
Les marges deviennent productrices d’images
Ces banlieues, qui se font “niquer au score”, comme le formule Booba dans Temps mort (un titre que reprendra Mohamed Bourouissa pour une de ses vidéos), l’artiste ne se contente pas d’en capturer l’image pour la transposer. Les marges invisibles (les vendeurs de cigarettes à la sauvette, les détenus) ne sont pas que les sujets du regard, elles endossent, équipées par le plasticien, le rôle de productrices d’images.
Précédé d’une longue immersion, chacun des projets de Mohamed Bourouissa construit une situation d’énonciation nouvelle, permettant à une communauté de se réapproprier son image. A Philadelphie, ce mode opératoire s’est même affirmé, comme en témoigne l’exposition Urban Riders présentant le résultat des huit mois passés sur place.
“J’essaie de casser les lignes de l’espace pour obtenir une vision moins frontale”
Le parcours s’ouvre sur un couloir placardé d’affiches annonçant, le 13 juillet 2014, une Horse Tuning Expo accompagnée de barbecues et de concerts. “Les cavaliers étaient méfiants. Très vite, j’ai senti qu’il fallait les impliquer. Finalement, l’événement a pris la forme d’un concours où j’ai demandé aux artistes locaux de fabriquer des costumes pour les chevaux.”
On accède ensuite aux costumes puis aux dessins préparatoires présentés sur des parois disposées de biais. “J’essaie de casser les lignes de l’espace pour obtenir une vision moins frontale, comme le regard que l’on porte sur une réalité que l’on ne maîtrise pas.” Ces traces du processus mené en amont, Mohamed Bourouissa ne les montrait pas auparavant.
Le rapport entre un centre et sa périphérie complexifié
Au cœur de l’exposition, mais pas en son centre, présenté dans l’avant-dernière pièce, il y a bien un film : Horse Day. Ni western, ni fiction, ni documentaire, un peu tout ça à la fois. Sur deux écrans, un volet montre les rencontres entre artistes et riders pendant la préparation de la parade, tandis que sur l’autre se déroule la journée du concours en tant que telle.
Enfin consacré par une institution française à 39 ans, Mohamed Bourouissa réalise son projet le plus personnel (et abouti) à ce jour. En allant se frotter aux appartenances communautaires sur le sol américain, le rapport entre un centre et sa périphérie est complexifié : “Je ne suis pas noir, ni rider, ni américain. Aussi, je ne parle que depuis mon propre point de vue, mon propre prisme.”
Pour le visiteur, le résultat n’en reste pas moins un peu frustrant puisque l’essentiel se joue ailleurs que dans les vestiges présentés. En même temps que l’ampleur du projet, sont alors démontrées les limites du musée classique compris comme réceptacle d’objets – de choses mortes ? L’artiste l’a bien compris, lui qui a installé au Studio 13/16 du Centre Pompidou une salle de sport, et travaille actuellement à un jardin pour la prochaine Biennale de Liverpool.
Urban Riders Jusqu’au 22 avril, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris XVIe
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