Ils posent nus pour onze euros de l’heure. Ce ne sont ni des occasionnels, ni des étudiants, mais des modèles d’art à plein temps et avant tout des précaires. Depuis 2008, ils demandent la reconnaissance de leur métier.
Nue sur la sellette, immobile depuis 45 minutes, Séverine travaille. Autour d’elle, une dizaine d’amateurs l’observent attentivement et façonnent des statues de terre à son image. Modèle depuis plus de vingt ans, Séverine partage son temps entre une vingtaine d’ateliers et son travail d’éducatrice. « Mon métier c’est d’être modèle, avant je ne faisais que ça, mais c’est trop précaire« , raconte-t-elle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A l’école municipale d’art de Savigny-sur-Orge dans l’Essonne, les modèles comme Séverine sont considérés comme des assistants d’enseignement. Ils perçoivent plus de 18 euros de l’heure. Et ils peuvent compter sur la générosité des élèves qui ne manquent pas de laisser une petite pièce en fin de séance dans le traditionnel cornet du modèle (voir la vidéo).
A la ville de Paris et aux beaux-arts, ses collègues aimeraient bien être traités de la même manière. « Savigny, c’est l’atelier idéal, on est pas considéré comme des potiches, c’est un peu exceptionnel », raconte Fabienne Gillmann, modèle aux ateliers des beaux-arts de la ville de Paris. Elle a récemment co-signée avec Patrick Berton, modèle aux beaux-arts, une tribune sur LeMonde.fr pour la reconnaissance de ce métier. Leurs revendications ?
« Accorder au modèle la qualité d’assistant d’enseignement et le rémunérer en conséquence, définir un statut qui corresponde à la spécificité de cette activité nécessitant, pour en vivre, d’avoir plusieurs employeurs. »
Un statut précaire de vacataire
Depuis 2008, les modèles de la Ville de Paris et ceux des Beaux-arts tentent de se faire entendre. Dans les deux institutions, ils ne sont payés qu’onze euros de l’heure. Jusqu’en 2008, les modèles pouvaient compter sur le cornet, qui représentait 20% de leurs revenus. Il est désormais interdit dans les établissements de la ville de Paris.
Surtout, ils ont le statut très précaire de vacataire. Payés à la prestation, les modèles ne bénéficient donc ni de congés payés, ni d’assurance maladie.
« Lorsque les ateliers ferment nous ne sommes pas payés. Lorsque le prof est absent non plus, contrairement à lui. Et lorsqu’on est malade on a rien », explique Déborah, elle aussi vacataire à la ville de Paris.
Selon Bertrand Vincent, du syndicat Force Ouvrière, sur la centaine de modèles que compte la Ville de Paris, une quarantaine pourrait prétendre à être contractualisé car ils réalisent plus de 400 heures de travail par an pour le compte de la mairie. Et pour certains, depuis plus de dix ans.
Reste que la précarité est inhérente à ce métier et la contractualisation ne peut représenter une solution pour tous. Les ateliers ont besoin de changer de modèles fréquemment car chacun permet d’explorer des techniques différentes. Tant par sa plastique que par les poses qu’il suggère.
« Une performance physique et artistique »
Pour pourvoir en vivre, les modèles partagent donc leur temps entre des dizaines d’ateliers. « On se déplace beaucoup. Quand je dois aller en banlieue, je traverse Paris et je n’y vais que pour deux ou trois heures à chaque fois », raconte Patrick Berton.
Alors pour compenser cette précarité, ces muses d’ateliers demandent une revalorisation salariale alignée sur le taux horaire des assistants d’enseignement. Les modèles verraient ainsi leur rémunération atteindre 27 euros brut de l’heure.
Plus qu’une augmentation, les modèles y voient aussi une reconnaissance de leur travail et de leur utilité dans l’enseignement des arts plastiques.
« Il ne suffit pas de s’asseoir et d’attendre que le temps passe. L’immobilité n’est pas naturelle et il faut faire preuve d’imagination pour que notre pose soit intéressante à dessiner sous toutes les facettes. C’est une performance à la fois physique et artistique « , assure Patrick Berton.
En juin 2009, le ministère de la Culture avait promis de réaliser un audit sur le statut des modèles. Un an plus tard, leurs revendications sont restées lettre morte.
{"type":"Banniere-Basse"}