L’artiste Mircea Cantor construit une oeuvre tout en symboles et redessine un univers entre poésie et politique.
L’interview à peine commencée, Mircea Cantor a d’emblée cette phrase amicale : « On fête les 10 ans de ma première apparition dans Les Inrockuptibles… C’est comme un anniversaire ! » C’était en septembre 2001, deux ans seulement après l’arrivée en France et l’entrée aux beaux-arts de Nantes de ce jeune surdoué de l’art contemporain, né en 1977 à Oradea, Roumanie.
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« Après avoir fait le lycée d’art dès l’âge de 13 ans, je suis allé à l’Académie des beaux-arts de Cluj mais je m’y sentais mal. Par exemple, on nous avait demandé un travail à partir d’un chef-d’oeuvre et j’ai photographié ma copine de l’époque en m’inspirant de L’Origine du monde de Courbet. Les professeurs ont trouvé ça pornographique et ont suspendu ma bourse… En même temps, on me proposait une exposition solo dans une galerie de Bucarest. Pour moi, la véritable école, ça a été les rencontres avec les grands artistes roumains de l’époque, Rudolf Bone ou Geta Bratescu aujourd’hui âgée de 85 ans. J’allais les voir en auto-stop. Quand le critique d’art Robert Fleck a visité l’Académie, il a regardé mon travail et m’a encouragé à intégrer directement le post-diplôme des beaux-arts de Nantes. Je n’ai pas hésité. »
Installé à Paris, représenté depuis 2002 par la prestigieuse galerie Yvon Lambert, Mircea Cantor, 34 ans, a fait sa route dans l’art contemporain. Il trace avec une discrète assurance un chemin fragile, au croisement du poétique et du politique. Pour lui, qui s’est découvert avec le temps une fascination pour la peinture chinoise, les enluminures orientales, les haïkus japonais et la philosophie zen, cette aventure artistique est bien sûr « la voie royale ». Et d’un coup, à l’entendre parler du temps, du monde, à le voir construire une oeuvre tout en symboles, Mircea Cantor apparaît comme un sage contemporain, un bonze des temps actuels.
Quand on l’interroge sur les propos du ministre de l’Intérieur Claude Guéant stigmatisant les immigrés roumains, il ne s’abandonne pas à la colère mais écarte d’un revers méprisant ces propos haineux. Il vit sans téléphone portable pour s’offrir des plages de déconnexion, se montre conscient des problèmes de la planète mais voit aussi les dérives idéologiques que pourrait engendrer l’injonction écologique. Il y réplique d’une phrase étonnante : « Je ne veux pas sauver le monde… » Enfin, il crée des oeuvres jamais littérales mais jamais non plus déconnectées du monde. A l’image de ce modèle réduit d’avion qu’il expose actuellement au Crédac d’Ivry, nouvellement installé à la Manufacture des oeillets : inspiré par les avions-jouets des enfants africains fabriqués avec des canettes de Coca-Cola, il a eu l’idée d’en réaliser un à plus grande échelle avec des barils de carburant, auquel il a ajouté, comme un trait de poésie chinoise, un hameçon doré :
« Au fond, cet avion devient un leurre, comme pour la pêche à la mouche. S’il n’y avait eu que cette idée des barils, la pièce aurait été très littérale. Mais avec ce hameçon doré, quelque chose de nouveau surgit. Cette pièce est une image du mensonge. Qu’est-ce qu’il y a de plus menteur aujourd’hui que des intérêts pétroliers déguisés en avions de chasse lancés dans le désert ? »
En contrepoint, il propose quelques salles plus loin une somptueuse vidéo, véritable allégorie de la paix : vêtues de blanc tels des anges, sept jeunes femmes marchent en cercle dans du sable fin, chacune balayant les traces laissées par celle qui la précède. Concorde des âmes, danse des muses, la ronde se répète à l’infini, comme un mantra indien (Tracking Happiness, 2009). Et c’est le souvenir d’une autre fameuse vidéo de l’artiste qui nous revient à l’esprit, Deeparture (2005) : dans le white cube d’une galerie ou d’un musée, l’artiste semble faire cohabiter une biche et un loup, qui s’évitent ou se surveillent nonchalamment dans une atmosphère indécise, flottante, entre danger et indifférence. Au fond, Mircea Cantor n’est pas tant un artiste « international », selon l’expression consacrée dans le champ de l’art, mais un artiste universel, qui propose de nouvelles figurations symboliques du monde avec les moyens multiples et les formes de l’art contemporain.
« Plus vraiment roumain, pas vraiment français, je vis dans un état d’exil permanent. Je suis une sorte de Juif errant qui vit et travaille sur la Terre. »
Jean-Max Colard
exposition More Cheeks than Slaps jusqu’au 18 décembre au Crédac, Manufacture des oeillets, Ivry-sur-Seine (94), www.credac.fr Mircea Cantor est parmi les nommés du prix Marcel-Duchamp 2011, exposés à la Fiac du 20 au 23 octobre au Grand Palais, Paris VIIIe
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