L’artiste californien Mike Kelley est mort le 1er février. Portrait d’un brillant outsider qui a « fait » la côte ouest et bâti une oeuvre éminemment politique.
A 57 ans, Mike Kelley a été retrouvé mort à son domicile de Los Angeles suite à ce que l’on suppose être un suicide. En 2003, avec son comparse californien Paul Mac Carthy, il avait mis le boxon à la biennale de Lyon en installant un camp paramilitaire déserté où quantité de preuves (vidéos gores, infirmerie spécialisée dans le trafic d’organes et cuisines de troufions dégueulasses) confirmaient la présence d’activités barbares récentes. Le comble de l’horreur, version télé réalité, où les visiteurs étaient invités à laisser court à leur imagination.
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Quelques années plus tôt, en 1999, c’est un autre parc à thèmes cauchemardesque inspiré par les expériences menées par le chercheur américain Harry Harlow sur le comportement des primates qu’il imagine pour le Magasin de Grenoble. Une « salle de test contenant de multiples stimuli… » qui rappelle l’architecture carcérale et prend, une nouvelle fois, le spectateur pour un cobaye. Fortement marqué par l’imaginaire totalitaire (pensons encore à sa reconstitution de Kandor City, la patrie imaginaire de Superman, présentée chez François Pinault à Venise), Mike Kelley doit sans doute pour partie à ses parents, un père en charge de la maintenance d’établissement scolaires et une mère cuisinière au sein de la Ford Motor Company, cette fascination tourmentée pour les institutions collectives et les dérives qui vont avec.
En 2008 au Wiels de Bruxelles, il s’attaque ainsi à ses souvenirs d’enfant avec une maquette géante dans laquelle il reconstitue de mémoire (et donc partiellement) les lieux de son apprentissage. Les vides et les absences de cette topographie intime laissent place aux fantasmes et à cette « inquiétante étrangeté » héritée de Freud que Mike Kelley avait éprouvé dans une exposition magistrale de 1993 baptisée « Playing with dead things : the uncanny » et pour laquelle il avait révélé ses talents de commissaire.
Collectionneur compulsif d’objets primitifs et low culture – on connaît notamment son improbable collection de peluches destroy et de poupées de laine dont celle, fameuse, qui s’affiche en couverture de la pochette de l’album « Dirty » de Sonic Youth – Mike Kelley cherchait peut-être à combler ce gouffre. En marge de son oeuvre, éminemment politique, Mike Kelley restera aussi une icône de la scène californienne. Né à Detroit mais très vite réfugié sur la Côte Ouest où il fait ses études au sein de la prolifique et mythique école CalArts, Kelley est un pilier d’une petite bande qui compte, entre autres stars, Mac Carthy, avec qui il signera de nombreuses pièces, Raymond Petitbon, Tony Oursler ou Thurston Moore, membre de Sonic Youth, et Jim Shaw, article clé de la subculture, avec qui il fonde en 1973 le groupe Destroy all Monsters.
« Mike Kelley c’est aussi le premier artiste à avoir fait toute sa carrière en Californie, sans passer par la case New-York » rappelle Yves Aupetitallot, le directeur du Magasin de Grenoble qui a accueilli la seule exposition monographique dans une institution française consacrée à Kelley.
« Il a en quelque sorte « déprovincialiser » la côte ouest ! C’est un des artistes les plus fascinants que j’ai croisé. En tant que commissaire et critique – il a beaucoup écrit sur lui et sur les autres – il a contribué à exporter la scène californienne et ses sources : la BD, les comics, la musique punk. C’est un artiste majeur de sa génération. »
Claire Moulène
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